Issue
Climatologie
Volume 20, 2023
Changement climatique : les territoires acteurs des trajectoires d’adaptation et de transition écologique
Article Number 10
Number of page(s) 17
DOI https://doi.org/10.1051/climat/202320010
Published online 24 October 2023

© J. Crétat et al., hosted by EDP Sciences 2023

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Introduction

Environnement comme société sont extrêmement vulnérables face aux canicules (Pascal et al., 2019; Adélaïde et al., 2022). En Europe, celle de l’été 2003 en est un exemple marquant avec une surmortalité de ~35 000 décès (dont ~15 000 en France) et une perte de 650 000 hectares de forêt (De Bono et al., 2004; García-Herrera et al., 2010). Cette vulnérabilité est exacerbée en milieu urbain (Alcoforado et Andrade, 2008) dont la minéralité contribue à stocker la chaleur la journée et à la restituer la nuit sous forme de chaleur sensible, et dont l’imperméabilité limite le rafraîchissement résultant de l’évaporation du sol et de la transpiration de la végétation (e.g., Oke, 1973, 1982; Oke et al., 2017). L’excès de chaleur qui en résulte, par rapport à la campagne adjacente, est appelé Îlot de Chaleur Urbain (ICU). Ce phénomène nocturne se développe rapidement au coucher du soleil, se maintient jusqu’au lever du soleil et accroît le stress thermique en limitant la capacité des organismes à récupérer (Fouillet et al., 2006; Robine et al., 2008; Pascal et al., 2018).

Canicules comme ICU s’intensifient d’ores et déjà en réponses (z) à la croissance urbaine et (zz) à l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère induite par les activités humaines (Alexander et al., 2006; Russo et al., 2014; Ward et al., 2016; Perkins-Kirkpatrick et Lewis, 2020; Dodman et al., 2022; He et al., 2022), tendances qui vont s’accélérer dans les décennies à venir. Suite à la canicule de 2003 et aux projections climatiques qui alertent, de nombreux programmes de recherche ont été financés pour proposer des solutions d’atténuation de l’ICU. Des observatoires ont vu le jour en milieu urbain pour surveiller et analyser la variabilité spatio-temporelle de la température de l’air afin, notamment, de mettre en place des systèmes d’alerte à l’échelle des territoires. Ces observatoires s’intégrent, en France, dans le Service National d’Observation (SNO) Observil (https://sno-observil.fr/), labellisé en 2020 par l’Institut National des Sciences de l’Univers du Centre National de la Recherche Scientifique.

Couplés aux données d’occupation du sol et aux conditions météorologiques, ces observatoires permettent de mieux comprendre les déterminants de la variabilité spatio-temporelle de la température en milieu urbain. L’ICU peut en effet varier en intensité, durée et morphologie en fonction des conditions de fond (e.g., humidité du sol), des conditions météorologiques (e.g., précipitation, ensoleillement, vitesse et direction du vent), des catégories d’occupation du sol et de la topographie (e.g., Oke, 1973; Petralli et al., 2014; Emery et al., 2021; voir aussi la revue de Deilami et al., 2018). Par ailleurs, les canicules et fortes chaleurs coïncident souvent à des situations de blocage anticyclonique de large échelle (Kautz et al., 2022). Ces blocages sont associés à des vents faibles favorisant le développement d’une couche d’air stable et l’apparition d’inversions thermiques (Hidalgo et al., 2010). Lors des canicules, la structure spatiale de la température nocturne est donc susceptible de résulter de l’influence individuelle et/ou combinée de l’occupation du sol et du profil vertical de température dans les villes à topographie contrastée (Holobâcâ et al., 2022).

Cette hypothèse est questionnée dans la fourchette haute de la micro-échelle (allant de 102 à 103 m selon Oke, 1984) lors des canicules et des jours de fortes chaleurs observés à Dijon sur la période 2014-2021. Située dans le quart nord-est de la France, cette ville est dotée depuis juin 2014 d’un réseau dense de capteurs mesurant la température de l’air à 2 m au pas de temps horaire. À Dijon, l’intensité de l’ICU est fortement contrôlée par le vent pendant les canicules (Richard et al., 2021), suggérant un rôle important de la circulation atmosphérique synoptique et locale. D’une part, nous examinons les conditions atmosphériques synoptiques associées aux canicules à Dijon. D’autre part, nous analysons la relation entre l’ICU et le profil vertical de température durant le cycle diurne pour chaque canicule, ainsi que l’impact de la circulation atmosphérique locale. Enfin, nous cherchons à identifier et comprendre les principales structures spatiales de la température de l’air nocturne lors des canicules. Pour cela, nous mobilisons un modèle d’interpolation statistique passant des mesures in situ (points) à des estimations surfaciques (mailles), couvrant l’ensemble de l’espace d’étude à une résolution de 100 m et incluant l’influence combinée de différents facteurs décrivant principalement l’occupation du sol et la topographie.

1. Données et méthodes

1.1. Indicateurs thermiques des canicules, de l’îlot de chaleur urbain et du gradient plaine - plateau

Les données provenant du réseau MUSTARDijon (Richard et al., 2018; figure 1) sont mobilisées pour détecter les canicules et les jours de fortes chaleurs, ainsi que pour estimer l’ICU et le profil vertical de température.

thumbnail Figure 1

(a) Contexte topographique et (b) Local Climate Zones (LCZs) du réseau MUSTARDijon enregistrant la température horaire de l’air à 2 m depuis juin 2014 et de la station synoptique Météo France. Les stations mobilisées pour calculer l’Îlot de Chaleur Urbain (ICU) et le Gradient de température entre la Plaine et le Plateau (GPP) sont indiquées par des symboles spécifiques (voir légende). La définition des LCZs est détaillée dans Diallo-Dudek et al. (2023). (a) Topographical context and (b) Local Climate Zones of the MUSTARDijon network recording 2m air temperature every hours since 2014 and of the Météo France weather station providing hourly weather data. The stations used to compute the Urban Heat Island (UHI) and the Plain - Plateau temperature Gradient (PPG) are shown with symbols (see legend). The LCZ definition is detailed in Diallo-Dudek et al. (2023) .

Mis en place dès juin 2014 et progressivement étendu et densifié, ce réseau mesure la température à 2 m au pas de temps horaire sur au moins 60 sites depuis mai 2016, couvrant les différents types d’occupation du sol et ambiances climatiques associées, ou Local Climate Zones (LCZs; Stewart et Oke, 2012), ainsi que les tranches d’altitude de Dijon Métropole (23 communes réparties sur 250 km2). Cette ville est bordée à l’ouest par un plateau culminant à 600 m largement couvert par de la forêt, et à l’est par une plaine d’environ 200 m d’altitude caractérisée par des grandes cultures, des forêts et des étangs (figure 1). À l’ouest, le plateau est entaillé par une vallée encaissée (vallée de l’Ouche) couverte de prairies et de jardins.

Parmi les différentes définitions des canicules, nous retenons celle du ministère de l’Intérieur, de Météo France et de Santé Publique France mobilisée par la préfecture de Côte-d’Or pour déclencher le plan d’alerte canicule. Cette définition repose sur un dépassement de seuil des températures quotidiennes minimales (Tmin > 19°C) et maximales (Tmax > 34°C) pendant au moins trois jours consécutifs. Les températures quotidiennes minimales et maximales sont calculées par tranches de 24 heures débutant au lever du soleil. L’originalité est que cette définition a été appliquée rétrospectivement sur chaque station du réseau MUSTARDijon pendant la saison estivale (juin à août) et non sur des prévisions météorologiques. Les canicules identifiées sont similaires quel que soit le site sélectionné au centre- ville. Leur nombre et durée tendent en revanche à diminuer dans l’espace rural adjacent (non montré). L’excès de chaleur généré par la ville n’est donc pas neutre sur la détection des canicules et suggère que les systèmes d’alerte canicule actuellement implémentés à l’échelle départementale (mixant ville et campagne) pourraient ou devraient être complétés par des systèmes d’alerte à l’échelle des villes. Par simplicité et pour maximiser le nombre de canicules étudiées, nous analysons par la suite celles identifiées à partir d’une station localisée au centre-ville (Place de la Libération : figure 1). Cette même station est mobilisée pour identifier les jours de fortes chaleurs (Tmin > 19°C et Tmax > 30°C sans contrainte de durée).

La définition retenue pour l’ICU est la même que celle utilisée dans Richard et al. (2021). Elle repose sur la différence de température entre d’une part 2 stations situées au centre-ville (Place de la Libération retenue pour l’identification des canicules et Chancelier de l’Hospital), et d’autre part 4 stations rurales d’altitude comparable au centre-ville (Perrigny-lès-Dijon, Magny-sur-Tille, Saint-Apollinaire et Ahuy) localisées en périphérie de villages et entourées de champs ouverts (figure 1a). Les 2 stations du centre-ville correspondent à la LCZ 2 (Diallo-Dudek et al., 2023), traduisant une forte minéralité (figure 1b). Les 4 stations rurales correspondent aux LCZs 9 ou 104 (figure 1b), toutes deux traduisant une forte emprise de la végétation. Le Gradient Plaine - Plateau (GPP) est estimé en mobilisant des stations dont l’occupation du sol est proche (LCZ 9 ou 104; figure 1b) et distantes de moins de 30 kilomètres (~20 kilomètres), ce qui justifie leur appariement pour estimer le gradient vertical de la température de l’air (Joly et Richard, 2022). L’indice GPP est défini comme la différence entre la température mesurée par la station de Flavignerot (517 m) localisée sur le plateau (symbole triangle sur la figure 1) et la moyenne des 4 stations de plaine (218, 227, 253 et 277 m) utilisées pour estimer l’ICU. Cet indice est standardisé par la différence d’altitude entre le plateau et la plaine et est exprimé en °C/100 m.

1.2. Méthodes de classification et d’analyse de la circulation atmosphérique synoptique et locale

À l’échelle synoptique, nous mobilisons les types de circulation atmosphérique de Hess-Brezowsky pour renseigner la dynamique atmosphérique large échelle associée aux canicules (James, 2007). Cette méthode de classification prend en compte le champ de pression au niveau de la mer et le géopotentiel à 500 hPa des réanalyses CFS (Climate Forecast System) sur une fenêtre géographique incluant l’Océan Atlantique Nord et l’Europe. Toutes saisons confondues, cette méthode identifie 29 types de circulations ou Großwetterlagen (GWL), regroupés en 5 grands types ou Großwettertypen (GWT). Le catalogue des GWL, archivé et mis à jour par le Potsdam-Institut für Klimafolgenforschung (PIK) jusqu’en 2009 (Werner et Gerstengarbe, 2010), est, depuis 2003, mis à jour en continu et publié par le Deutscher Wetterdienst (consultable sur : www.dwd.de/DE/leistungen/grosswetterlage/grosswetterlage.html).

À l’échelle locale, nous analysons les mesures horaires de la vitesse et de la direction du vent à 10 m fournies par la station Météo France de Longvic (219 m) située au sud-est de Dijon (figure 1), à 7 km de la Place de la Libération.

1.3. Interpolation statistique de la température de l’air à une résolution hectométrique

Les principales structures spatiales de la température de l’air nocturne sont obtenues par régression linéaire multiple de la température du réseau MUSTARDijon par les trois familles de prédicteurs suivants :

  1. Descripteurs topographiques (altitude et amplitude des bosses et des creux) issus du Modèle Numérique de Terrain à 50 m de résolution de l’Institut National de l’Information Géographique et Forestière (IGN);

  2. Descripteurs de l’occupation du sol (fraction du bâti, des grandes cultures, de la végétation basse et haute) issus d’un produit hybride combinant la base de données BD TOPO (version 2020) et une image PLEIADE d’août 2015 à 2 m de résolution dont le traitement permet une meilleure prise en compte de la végétation estivale en milieu urbain;

  3. Variables géographiques (latitude et distance au centre-ville) pour émuler l’effet du vent méridien et de la densité du bâti sur la variabilité spatiale de la température.

Un modèle d’interpolation par heure est construit afin de maximiser sa performance et de contraindre le moins possible la diversité des structures spatiales de la température de l’air nocturne, ce qu’un modèle unique n’aurait pas permis. Chaque modèle d’interpolation inclut un maximum de 5 prédicteurs sélectionnés automatiquement en fonction de leur valeur-p, tous expliquant une part significative de la variance spatiale des températures mesurées par le réseau MUSTARDijon au seuil de 95% de confiance. Le choix d’utiliser 5 prédicteurs au maximum est motivé par des tests préliminaires pointant une stagnation de la performance des régressions linéaires multiples intégrant davantage de prédicteurs (non montré). Pour limiter la multi- colinéarité, l’altitude et l’amplitude des bosses ne rentrent jamais simultanément dans le modèle, tout comme la distance au centre et la fraction du bâti. Après tests, ces deux conditions limitent drastiquement les problèmes de multi-colinéarité, avec un facteur d’inflation de la variance systématiquement inférieur à 2.

Les modèles d’interpolation sont construits en considérant :

  • (i)

    l’altitude du point de grille de 50 m le plus proche de chaque station;

  • (ii)

    la moyenne des 7 points de grille les plus proches pour l’amplitude des bosses et des creux afin de se focaliser sur les principales lignes de crêtes et thalwegs. Après tests, les structures spatiales obtenues sont trop bruitées en considérant 5 points de grille et trop lissées avec 9 points de grille (non montré);

  • (iii)

    une zone tampon de 300 m de rayon pour l’occupation du sol afin de prendre en compte l’environnement dans lequel sont effectuées les mesures. Ce choix repose sur des tests à l’échelle de l’aire d’étude quantifiant la relation spatiale entre la température de l’air et l’occupation du sol déterminée sur des zones tampons de 50 m à 600 m de rayon, tous les 50 m (non montré). L’impact de la taille du rayon sur cette relation est faible pour la fraction du bâti et des grandes cultures mais non négligeable pour la fraction de la végétation basse et haute. Un rayon unique de 300 m constitue un bon compromis et impose que, pour chaque station du réseau, la somme de la fraction de chaque catégorie d’occupation du sol soit égale à 100%. Une telle standardisation évite d’exagérer ou de minorer l’empreinte spatiale de l’occupation du sol sur la température de l’air, ce que n’aurait pas garanti une approche multi-rayons;

  • (iv)

    les coordonnées GPS des stations pour la latitude;

  • (v)

    la station de la Place de la Libération (figure 1) comme référence pour le calcul de la distance au centre-ville.

Les coefficients de régression obtenus sont ensuite appliqués aux mêmes prédicteurs calculés cette fois sur une grille de 100 m de résolution couvrant l’ensemble de l’agglomération dijonnaise (figure 1). Cette grille de 100 m se situe à l’intersection des échelles micrométrique et locale (Oke, 1984) et répond à une attente de la Métropole de Dijon dans le cadre du projet Horizon 2020 RESPONSE qui vise notamment à analyser la relation entre la température de l’air en milieu urbain et la consommation énergétique à l’échelle des quartiers.

Cette méthode, détaillée dans Richard et al. (2022), capture correctement l’intensité et la variabilité spatiale des températures observées en fin de journée et pendant la nuit. Ici, elle est appliquée aux anomalies de la température moyennée entre 20 et 3 h UTC (~ du coucher du soleil à l’aube) de chaque nuit des canicules identifiées. Ces anomalies sont définies comme la différence entre la température de chaque capteur du réseau MUSTARDijon et la moyenne spatiale de la température mesurée sur les quatre stations rurales de plaine mobilisées pour le calcul de l’ICU et du GPP.

2. Résultats

2.1. Caractérisation des conditions thermiques associées aux canicules à Dijon

La figure 2 illustre la distribution de la température quotidienne minimale et maximale moyenne du centre-ville de Dijon (Place de la Libération) sur la période estivale de 2014 à 2021. Le seuil de 19°C de la température minimale est dépassé plus fréquemment (dans 18% des cas) que celui de 34°C de la température maximale (~7%o des cas). Cette différence induit que le nombre et la durée des canicules sont davantage contraints par la température diurne que par la température nocturne. Cet élément est imputable au fait d’avoir choisi une station située en centre-ville. Lorsque la sélection est opérée sur la station Météo France rurale de Longvic, le seuil de température minimale est en effet plus sélectif (Richard et al., 2021).

thumbnail Figure 2

Distribution des températures estivales (juin à août) quotidiennes minimale (bleu) et maximale (rouge) mesurées au centre-ville de Dijon sur la période 2014-2021. Les trois lignes en pointillés correspondent aux percentiles 90, 95 et 99. Distribution of daily minimum (blue) and maximum (red) temperature recorded in the city centre of Dijon between June and August over the 2014-2021 period. The three dotted lines correspond to percentiles 90, 95 and 99.

Intégrer une durée minimale de 3 jours consécutifs réduit à 5 le nombre de canicules identifiées au centre- ville de Dijon entre 2014 et 2021. Ces cinq épisodes caniculaires, un en juin, deux en juillet et deux en août, persistent 4 à 5 jours (tableau 1). Toutes canicules confondues, les températures minimale/maximale moyennes dépassent d’au moins 2°C (tableau 1) les seuils de détection d’une canicule appliqués en Côte d’Or (19/34°C). Les 24 nuits des 5 canicules sont toutes marquées par la présence d’un ICU. L’intensité de l’ICU, moyennée pour chaque nuit entre 20 et 3 h UTC, est cependant extrêmement variable, avec une amplitude de l’ordre de 5°C toutes nuits et canicules confondues (ICU minimal/maximal ~0,4/5,4°C; tableau 1).

Tableau 1

Caractéristiques des 5 canicules identifiées au centre-ville de Dijon (Place de la Libération) sur la période 2014-2021. Les deux derniers paramètres donnent la température nocturne (moyennée entre 20 et 3 h UTC) minimale, moyenne et maximale de l’ICU et du GPP. Characteristics of the 5 heat waves identified in the city centre of Dijon (Place de la Libération) over the 2014-2021 period. The last two parameters give the minimum, mean and maximum nocturnal temperature (averaged between 20 and 3h UTC) for the UHI and PPG.

Au contraire, les gradients adiabatiques (GPP>0°C) comme les inversions thermiques (GPP<0°C) sont possibles la nuit quelle que soit la canicule considérée (tableau 1), avec une amplitude thermique nettement plus marquée en présence d’inversions (jusqu’à 3°C/100 m) que dans le cas de gradients adiabatiques (1°C maximum).

2.2. Circulation atmosphérique synoptique associée aux canicules à Dijon

Les cinq épisodes caniculaires identifiés coïncident tous à des situations de blocage anticyclonique avec des hautes pressions de surface centrées sur l’Europe centrale, les îles Britanniques ou la Fennoscandie, ou à la présence de dorsales anticycloniques (tableau 2). Ces situations donnent lieu à un temps anormalement chaud, sec et peu venteux (James, 2007). À l’exception du dernier jour - de type SWZ - de la canicule d’août 2018, ces épisodes caniculaires sont quasi systématiquement associés à l’un des cinq grands types de temps anticycloniques (tableau 2), indiquant une diversité des situations favorisant les canicules pour l’espace étudié :

  • Situations à centre d’action sur l’Europe centrale (HM et BM) : 37,5%;

  • Circulations de Nord-Est et Est (NEA et HFA) : 25%o;

  • Circulations de Nord-Ouest et Nord (HB) : 12,5%;

  • Circulations de Sud (SEA) : 8,3%;

  • Circulations d’Ouest (WA) : 8,3%.

Tableau 2

Circulation atmosphérique synoptique associée à chaque jour des 5 canicules étudiées sur la période 20142021, déclinée en Großwettertypen (GWT) et Großwetterlagen (GWL). Synoptic atmospheric circulation for each day of the 5 heat waves for the period 2014-2021 period in terms of Großwettertypen (GWT) and Großwetterlagen (GWL).

Les types de circulation à centre d’action anticyclonique sur l’Europe centrale et certains types de circulation anticyclonique de nord-est et est sont les plus représentés. Ces journées occasionnelles de canicule ne reflètent pas les conditions moyennes de circulation atmosphérique saisonnières et mensuelles sur l’espace euroatlantique. En effet, succédant au paroxysme du ralentissement de la circulation zonale en avril et mai, associé à une recrudescence de l’occurrence des circulations méridiennes, les circulations zonales d’ouest redeviennent plus fréquentes durant les mois d’été à partir de début juin (Baur, 1956; Lejenas et Økland, 1983; Shukla et Mo, 1983; Werner et Gerstengarbe, 2010). Au pas de temps mensuel, les circulations d’ouest, de nord-ouest et de nord sont les plus fréquemment observées durant chacun des trois mois d’été, en lien avec le changement saisonnier habituel décrit ci-dessus (Douvinet et al., 2009).

Les différences entre ces types de circulation sont liées à la position du centre anticyclonique qui influe sur l’origine des masses d’air affectant la France et l’espace d’étude. Deux types de circulation (HFA et HM) semblent favorables à des températures nettement plus élevées que les autres (figure 3). Le type de circulation HFA est associé à des hautes pressions de surface centrées sur l’Europe du Nord, par exemple le 24 juillet 2019 (figure 3a), tandis que le type HM est associé à des hautes pressions de surface sur l’Europe centrale, par exemple le 4 juillet 2015 (figure 3b).

thumbnail Figure 3

Cartes du champ de pression de surface (contours blancs; hPa) et de l’altitude du géopotentiel à 500 hPa (plage de couleurs; m) sur le secteur Atlantique Nord - Europe à 12:00 UTC (a) le 24 juillet 2019 et (b) le 4 juillet 2015. Source : Wetterzentrale (www.wetterzentrale.de), réanalyse CFS. Maps of surface pressure (white contours; hPa) and 500 hPa geopotential height (shadings; m) over the North Atlantic - Europe sector at 12:00 UTC in (a) July 24, 2019 and (b) July 4, 2015. Source: Wetterzentrale (www.wetterzentrale.de), CFS reanalysis.

Dans les deux cas, l’anticyclone nord- ou centre- européen est associé à un centre de basses pressions de surface situé au large des Îles Britanniques. Dans chacun des cas, les deux centres d’action permettent l’advection de masses d’air chaud favorable aux épisodes caniculaires sur la France. Sur les régions du quart nord-est de la France, les anomalies thermiques positives atteignent, en saison chaude, en moyenne 3°C durant les épisodes de circulations de type HFA et 4°C durant les épisodes de type HM (James, 2007).

Le 24 juillet 2019 (HFA), l’advection de masses d’air d’origine continentale à la fois chaud et sec a été associée aux températures maximales les plus élevées enregistrées (e.g. 39,5°C à Longvic). En juillet 2015 et 2019, le flux dominant de sud a favorisé des températures largement supérieures à 35°C, notamment le 4 juillet 2015 (37,5°C à Longvic). Le centre de basses pressions de surface à la fois plus accentué et bas en latitude sur le proche Atlantique le 24 juillet 2019 a sans doute favorisé le surcroît d’élévation de la température dans l’Est de la France par rapport au 4 juillet 2015. Ces observations ressortent aussi des mesures effectuées au centre-ville de Dijon (tableau 1), suggérant qu’aux types de circulation HFA et HM peuvent être associés des ICUs marqués. Si les circulations de type HFA et HM sont parmi les plus susceptibles de générer de fortes anomalies thermiques positives sur le quart nord-est de la France (James, 2007), le relatif éloignement de Dijon vis-à-vis des étendues océaniques et maritimes (effet de continentalité : Pagney, 1975) est sans doute aussi favorable aux températures très élevées observées durant tous les épisodes anticycloniques.

2.3. Variabilité horaire de la température et rôle de la circulation atmosphérique locale

Certains changements de type de circulation durant un épisode donné (traits verts verticaux en figure 4) peuvent provoquer des changements de direction du vent, d’origine des masses d’air et donc des variations de température. Dans ces contextes anticycloniques à vent généralement faible en surface, les circulations locales liées à la topographie (brises) compliquent le rôle du type de circulation et du flux dominant aux échelles fines (Goldreich, 1984). À l’échelle fine, ici celle de l’agglomération dijonnaise, les impacts de l’occupation et usage du sol, ainsi que de la topographie, amplifient ou atténuent très localement la température. C’est pourquoi nous analysons à présent chaque canicule au pas de temps horaire en nous focalisant sur la relation entre l’ICU, le GPP et la circulation atmosphérique locale.

thumbnail Figure 4

Températures quotidiennes minimale (bleu) et maximale (rouge) mesurées à la station Météo France de Longvic durant les mois incluant les cinq épisodes caniculaires étudiés à Dijon (voir tableau 1). Les encarts verts en pointillés et acronymes distinguent les types de circulation atmosphérique GWL au cours de ces épisodes (voir tableau 2). Minimum (blue) and maximum (red) daily temperatures as measured by the Météo France Longvic weather station during the months corresponding to heat wave occurrence in Dijon (see tableau 1). The green dotted inserts and acronyms correspond to the GWL atmospheric circulation regimes during the heat wave periods (see tableau 2).

L’ICU et le GPP sont marqués par des cycles diurnes en opposition de phases (figure 5) avec une corrélation linéaire de -0,71 toutes canicules confondues (591 valeurs horaires). L’ICU se développe au coucher du soleil, atteint une valeur maximale en début de nuit et disparaît au lever du soleil. Le GPP décrit des gradients adiabatiques classiques en journée s’opposant à de fréquentes inversions thermiques la nuit, caractéristique commune à de nombreuses villes à topographie contrastée (Goldreich, 1984; Fernando, 2010). Ce rythme diurne caractérise également la vitesse du vent, maximale la journée et minimale la nuit (figure 5). Toutes canicules confondues, une corrélation significative (95% de confiance) de -0,40 et 0,48 est trouvée entre les chroniques horaires de la vitesse du vent et celles de l’ICU et du GPP. Cela indique qu’un vent nul à faible s’accompagne souvent d’un ICU marqué et d’une inversion thermique, et vice versa lorsque le vent est plus soutenu.

thumbnail Figure 5

Chroniques horaires de l’ICU (rouge), du GPP (violet) et de la vitesse du vent à 10 m (noir) pour chacune des cinq canicules identifiées à Dijon entre 2014 et 2021. Les encarts grisés correspondent aux nuits. Hourly timeseries of the UHI (red), PPG (purple) and 10 m wind speed (black) for each of the five heat waves identified in Dijon between 2014 and 2021. The shaded areas in grey represent the night.

Les relations ci-dessus sont exacerbées la nuit. En considérant des valeurs horaires moyennées de 20 à 3 h UTC (24 valeurs moyennes toutes canicules confondues), la corrélation entre l’ICU et le GPP atteint -0,93 et celles entre la vitesse du vent, d’une part et l’ICU et le GPP, d’autre part, atteignent -0,71 et 0,68, respectivement. Le fait que la relation entre l’ICU et le GPP soit plus forte que celle entre le vent et l’ICU/le GPP suggère que d’autres facteurs que la vitesse du vent nocturne influencent l’ICU et le GPP. Le vent nocturne reste cependant un élément central expliquant, potentiellement, 50% de la variance de l’ICU et du GPP.

Deux configurations émergent entre l’ICU, le GPP et la vitesse du vent lors des nuits caniculaires. D’une part, l’ICU est fort (>3°C), persistant (souvent au moins 5 heures consécutives) et l’inversion thermique est marquée (>1°C) lorsque le vent est faible (<2 m/s). C’est par exemple le cas de la plupart des nuits des canicules de juillet 2015 (figure 5a) et de juin et juillet 2019 (figures 5c-d). Cette configuration correspond souvent, mais pas systématiquement, aux types de circulation HFA et HM (tableau 2), indiquant que la vitesse du vent local est un élément clé à considérer en plus de sa direction à l’échelle synoptique. Au contraire, l’ICU est faible et l’inversion thermique est absente ou peu marquée lorsque la vitesse du vent excède 4-5 m/s. Ces conditions sont par exemple réunies toutes les nuits de la canicule d’août 2018 (figure 5b) associée à la présence d’une dorsale anticyclonique sur l’Europe (tableau 2).

Le contrôle de la vitesse du vent sur l’ICU et le GPP n’est pas significativement porté par sa composante zonale dont la vitesse dépasse rarement 2 m/s pendant les canicules (figure 6) en raison du contexte de blocage à l’échelle synoptique (tableau 2).

thumbnail Figure 6

Comme la figure 5 mais pour le vent méridien (noir) et zonal (vert). La chronique de l’ICU (rouge) est également montrée. 4s in figure 5 but for the meridional (black) and zonal (green) wind. The UHI curve (red) is also shown.

Il l’est en revanche par sa composante méridienne (figure 6), avec une corrélation significative au seuil de 95% de confiance atteignant -0,47 entre la vitesse du vent et sa direction méridienne, toutes deux moyennées entre 20 et 3 h UTC. Sur les cinq canicules étudiées, le vent de secteur nord dépasse régulièrement 4 m/s de jour comme de nuit (figure 6), donnant lieu à un ICU plafonnant à ~2°C, tel qu’observé par exemple lors de la canicule d’août 2018 (figure 6b). Il est à noter qu’un vent de secteur sud de 4 m/s ou plus peut également limiter le développement de l’ICU, même si cette relation ne ressort pas dans les corrélations (voir par exemple la quatrième nuit de la canicule d’août 2020 : figure 6e). Ce résultat suggère que le vent méridien, de nord comme de sud, peut contribuer à ventiler l’excès de chaleur de la ville et réduire l’intensité et/ou la durée de l’ICU comme celles des inversions thermiques. Le déploiement récent (2021 et 2022) d’une vingtaine d’anémomètres en périphérie de l’agglomération devrait permettre de déterminer si le vent méridien est plutôt imposé par la circulation synoptique ou, comme le laisserait supposer la renverse diurne, par la mise en place d’une circulation de brise.

La figure 7 synthétise la relation nocturne entretenue entre l’ICU, le GPP et le vent pour les 24 nuits des 5 canicules ainsi que pour toutes les nuits estivales (105) pour lesquelles les Tmin et Tmax quotidiennes excèdent respectivement 19 et 30°C.

thumbnail Figure 7

Synthèse de la relation entre ICU, GPP, vitesse du vent et vent méridien moyennés entre 20 et 3 h UTC pour les (a) 24 nuits caniculaires et (b) 105 nuits chaudes identifiées à Dijon entre 2014 et 2021. La taille et la couleur des cercles correspondent à la vitesse du vent et à sa direction méridienne, respectivement. Leur position est fonction de l’ICU (en abscisses) exprimé en anomalie par rapport à l’ICU moyen des 24/105 nuits étudiées et du GPP (en ordonnées). Les cercles noirs correspondent aux quatre cas retenus pour examiner les structures spatiales récurrentes de la température de l’air nocturne lors des canicules. Synthesis of the relationship between UHI, PPG, wind speed and meridional wind averaged between 20 and 3h UTC for (a) the 24 heat wave nights and (b) 105 hot nights identified in Dijon between 2014 and 2021. The circle size and color show wind speed and its meridional direction, respectively. The circle position depends on the UHI (x-axis) expressed in anomaly compared to mean UHI conditions averaged for the 24/105 nights and on the PPG (y-axis). The black circles correspond to the case studies retained to examine recurrent spatial patterns in nocturnal air temperature during heat waves.

La relation est linéaire et forte entre l’ICU et le GPP en contexte de canicule (figure 7a), et plus généralement par temps chaud (figure 7b), avec une corrélation atteignant -0,93 et -0,86, respectivement. En contexte caniculaire, i) 30% des nuits sont caractérisées par un ICU anormalement faible associé à un gradient adiabatique avec un vent supérieur à 2 m/s (figure 7, cadran supérieur gauche); ii) 60% des nuits par un ICU anormalement fort associé à une inversion thermique avec un vent souvent inférieur à <2 m/s (figure 7, cadran inférieur droit); iii) 10% des nuits caractérisées par un ICU anormalement faible et une inversion thermique généralement inférieure à 0,5°C (figure 7, cadran inférieur gauche). Des pourcentages comparables sont obtenus par temps chaud (respectivement pour ces 3 cas, 30, 50 et 20%).

2.4. Structures spatiales de la température de l’air nocturne en contexte caniculaire

Un modèle d’interpolation statistique appliqué aux anomalies de la température nocturne de l’air est utilisé (voir section 1.3). Quatre cas contrastés sont retenus (figure 7a). Ils illustrent les anomalies de température de l’air de l’agglomération dijonnaise associées aux deux principales configurations présentées précédemment avec prise en compte de la direction du vent méridien : 1) un ICU fort associé à une inversion thermique lors d’une nuit peu ventée de secteur nord ou de secteur sud (figures 8a-b) et 2) la situation inverse (ICU faible, gradient adiabatique et vent méridien fort : figures 8c-d).

thumbnail Figure 8

Principales structures spatiales de la température de l’air nocturne à Dijon pendant les canicules obtenues par interpolation statistique (voir section 1.3). (a) ICU fort, inversion thermique et vent faible de secteur nord. (b) Comme (a), mais en présence de vent faible de secteur sud. (c-d) Comme (a-b), mais pour un ICU faible et un gradient adiabatique. La température utilisée en entrée du modèle d’interpolation est exprimée en anomalie par rapport à la température des stations rurales de plaine (même stations que celles mobilisées pour les indices ICU et GPP). Les prédicteurs sélectionnés pour produire chaque carte sont indiqués par ordre d’apparition dans le modèle d’interpolation statistique avec des acronymes (Alt=altitude, Ampl-B=amplitude des bosses, Ampl-V=amplitude des vallées, Dist- CV=distance au centre-ville, Fract-FE=fraction des forêts et d’eau, Fract-GC=fraction des grandes cultures, Fract- VB=fraction de végétation basse et Lat=latitude), ainsi que le coefficient de détermination ajusté (R2) et l’erreur quadratique moyenne (RMSE) issue d’une validation croisée. Main spatial patterns in nocturnal air temperature during heat waves derived from statistical interpolation (see section 1.3). (a) Strong UHI, thermal inversion and weak northerly wind. (b) As in (a) but for weak southerly wind. (c-d) As in (ab) but for weak UHI and adiabatic gradient. The temperature used to feed the interpolation model is expressed in anomaly compared to the temperature measured in the plain (same stations as those used to compute the UHI and PPG indices). The predictors used to create each map are listed by order of appearance in the statistical interpolation model with acronyms (Alt=elevation, Ampl-B=hump magnitude, Ampl-V=valley magnitude, Dist-CV=distance from the city centre, Fract-FE=fraction of forest and water, Fract-GC=fraction of field crops, Fract-VB=fraction of low vegetation and Lat=latitude), as well as the determination coefficient (R2) and the root mean square error (RMSE) from a crossvalidation.

Indépendamment du cas d’étude, les prédicteurs mobilisés pour l’interpolation, sélectionnés automatiquement sur la base de la valeur-p, incluent systématiquement des descripteurs topographiques et d’occupation du sol (figure 8). À Dijon, en contexte de canicule, la variabilité spatiale de la température nocturne de l’air résulte donc de l’influence combinée de la topographie et de l’occupation du sol. L’ordre d’apparition des prédicteurs dans le modèle (cf. liste classée par ordre d’apparition en figure 8) suggère une plus forte influence de la topographie que de l’occupation du sol en condition peu ventée (figures 8a-b). Cette hiérarchie ne ressort pas en condition ventée (figures 8c-d). De plus, même si la fiabilité des interpolations de la température nocturne est forte dans tous les cas (R2 minimal = 0,65 et RMSE maximale = 0,9°C), les erreurs spatiales (R2) et d’intensité (RMSE) sont plus fortes en condition peu ventée (figures 8a-b). Cela suggère une plus grande influence de la topographie et de l’occupation du sol sur la température lorsque le vent est faible, et donc une hétérogénéité spatiale de la température plus complexe à modéliser, en accord avec Emery et al. (2021). Au contraire, un vent non négligeable permet de ventiler l’excès de chaleur de la ville et d’annihiler ou de réduire les inversions thermiques, d’où des températures plus uniformes spatialement et plus faciles à modéliser (figures 8c-d).

Spatialement, les cartes correspondant à un ICU fort et une inversion thermique marquée en condition peu ventée (figures 8a-b) décrivent, par rapport à la plaine rurale à l’est, un delta de température atteignant +5°C à la fois en ville et sur le plateau à l’ouest de Dijon. Cette aire chaude est entaillée par deux axes frais. L’axe frais principal autour duquel s’est développée l’agglomération dijonnaise, du nord-ouest au sud-est, correspond à la vallée de l’Ouche (figure 1a). Cette vallée est nettement plus froide que la plaine de l’est de Dijon et permet de drainer de l’air plus frais en ville, limitant l’excès de chaleur le long du thalweg de l’Ouche. Le second axe frais, moins net et pénétrant peu profondément en cœur de ville, s’esquisse au nord (figures 8a-b). Il correspond à la vallée du Suzon. En plus de ces deux axes frais, le parc de la Colombière localisé à 3 km au sud-est du centre- ville et d’une superficie de 33 hectares (figure 1a) peut également former un îlot de fraîcheur (figures 8b et d). Ces axes et îlots de fraîcheur peuvent jouer un rôle sur le confort thermique des quartiers avoisinants. A contrario, au sud-ouest de la ville, la zone viticole, bien qu’éloignée du cœur de ville et ne bénéficiant pas du phénomène d’inversion, apparaît comme chaude, renvoyant à la notion de ceinture chaude liée à l’exposition de la côte viticole (Chabin, 1995). Ce canevas général ne paraît pas être affecté par la direction du vent. Il l’est en revanche par le nombre, la nature et le poids (i.e. coefficient de régression) des prédicteurs mobilisés.

La structure spatiale de la température de l’air nocturne associée à un ICU faible et à un gradient adiabatique (figures 8c-d) décrit quant à elle des températures relativement uniformes sur l’agglomération dijonnaise, avec des écarts excédants rarement 1°C entre la plaine rurale et le reste de l’agglomération, des températures légèrement plus fraîches sur le plateau à l’ouest que dans la plaine à l’est, un faible excès de chaleur en ville (2°C au plus) et des axes frais peu marqués. De manière surprenante, seule la nuit du 4 au 5 août 2018 (figure 8c), caractérisée par un vent de nord dépassant 2 m/s de nuit comme de jour (figure 6b), suggère un modèle thermique spatial s’étalant en direction du sud. Cela illustre un rôle non négligeable de la direction du vent sur la variabilité spatiale de la température urbaine.

Conclusion

Les canicules telles que définies par Météo France et déclenchant une alerte à l’échelle départementale sont rares à Dijon : cinq cas d’une durée de 4 à 5 jours entre 2014 et 2021. Six nuits caniculaires sur 10 sont associées à un ICU fort (>3°C), une inversion thermique dépassant souvent 0,5°C/100 m et un vent faible (<2 m/s), et trois nuits sur 10 à un ICU faible (<3°C), un gradient adiabatique et un vent fort (>2 m/s). Des statistiques comparables sont obtenues par temps chaud.

À Dijon, nous montrons que la vitesse du vent contrôle à la fois l’ICU et le GPP en situation de blocage anticyclonique. Un ICU fort est presque toujours associé à la présence d’une inversion thermique et un ICU faible à un gradient adiabatique. Si la topographie et l’occupation du sol contribuent systématiquement à structurer la température spatialement, leur influence est maximale par temps calme, ce qui induit des hétérogénéités thermiques plus complexes et donc plus difficiles à modéliser statistiquement. Les modèles d’interpolation qui en résultent tendent donc à être moins performants quand le vent est faible.

La structure spatiale de la température de l’air en milieu urbain lors de nuits caniculaires peut schématiquement être résumée par deux configurations. La première correspond à des structures spatiales hétérogènes résultant d’une forte influence de l’occupation du sol et de la topographie lors de nuits peu ventées. Cette configuration se traduit principalement par un excès de chaleur en ville (ICU) entaillé par un axe frais séparant la ville en deux. En dehors de la ville, la température sur le plateau à l’ouest de Dijon est supérieure à celle de la plaine à l’est (inversion thermique). La seconde configuration correspond à des structures spatiales homogènes lors de nuits ventées avec une faible influence de la topographie et se traduit par des températures légèrement plus chaudes en ville, proches entre la plaine et le plateau, et par un axe frais limité. Quelle que soit l’amplitude de l’excès de chaleur induit par la ville, la morphologie des structures spatiales de la température de l’air est sensible aux prédicteurs retenus dans le modèle d’interpolation. Par exemple, la distance au centre-ville est systématiquement retenue dans les cas étudiés ici pour transcrire la minéralité de la ville sous la forme d’un gradient radioconcentrique. L’excès de chaleur tend donc à diminuer en s’éloignant du centre-ville. Une telle structure unipolaire donne place à une multitude de pôles secondaires lorsque la fraction du bâti est retenue à la place de la distance au centre- ville.

Cette étude pointe l’existence d’un axe particulièrement frais traversant Dijon du nord- ouest au sud-est dans les moments durant lesquels le stress thermique est à son paroxysme. Intégrer cet axe dans la politique de rafraîchissement de la ville paraît donc être une piste importante pour limiter l’ICU à Dijon ou, a minima, favoriser des Îlots de Fraîcheur Urbains (IFU). Un exercice de modélisation physique est néanmoins nécessaire en amont afin de tester différentes stratégies d’aménagement (e.g., hauteur et orientation des bâtiments) pour exploiter au mieux cet axe frais.

Remerciements

Nous remercions Météo-France pour la mise à disposition des données météorologiques de la station de Longvic ainsi que le service météorologique allemand Wetterzentrale (https://www.wetterzentrale.de/) de nous avoir autorisé à reproduire les cartes de champ de pression (réanalyse CFS). Les calculs ont été effectués au centre de calcul DNUM-CCUB de l’Université de Bourgogne Franche-Comté. Ce travail est une contribution au projet RESPONSE (ERC H2020 Grant #957751: https://h2020response.eu/). Nous remercions les deux relecteurs anonymes pour leurs remarques pertinentes.

Références

Citation de l’article : Crétat J., Richard Y., Planchon O., Emery J., Poupelin M., Rega M., Pergaud J., Joly D., Diallo-Dudek J., Roy D., Granjon L., Pohl B., 2023. Impact de la topographie et de la circulation atmosphérique sur l’îlot de chaleur urbain en situation de canicule (Dijon, France). Climatologie, 20, 10.

Liste des tableaux

Tableau 1

Caractéristiques des 5 canicules identifiées au centre-ville de Dijon (Place de la Libération) sur la période 2014-2021. Les deux derniers paramètres donnent la température nocturne (moyennée entre 20 et 3 h UTC) minimale, moyenne et maximale de l’ICU et du GPP. Characteristics of the 5 heat waves identified in the city centre of Dijon (Place de la Libération) over the 2014-2021 period. The last two parameters give the minimum, mean and maximum nocturnal temperature (averaged between 20 and 3h UTC) for the UHI and PPG.

Tableau 2

Circulation atmosphérique synoptique associée à chaque jour des 5 canicules étudiées sur la période 20142021, déclinée en Großwettertypen (GWT) et Großwetterlagen (GWL). Synoptic atmospheric circulation for each day of the 5 heat waves for the period 2014-2021 period in terms of Großwettertypen (GWT) and Großwetterlagen (GWL).

Liste des figures

thumbnail Figure 1

(a) Contexte topographique et (b) Local Climate Zones (LCZs) du réseau MUSTARDijon enregistrant la température horaire de l’air à 2 m depuis juin 2014 et de la station synoptique Météo France. Les stations mobilisées pour calculer l’Îlot de Chaleur Urbain (ICU) et le Gradient de température entre la Plaine et le Plateau (GPP) sont indiquées par des symboles spécifiques (voir légende). La définition des LCZs est détaillée dans Diallo-Dudek et al. (2023). (a) Topographical context and (b) Local Climate Zones of the MUSTARDijon network recording 2m air temperature every hours since 2014 and of the Météo France weather station providing hourly weather data. The stations used to compute the Urban Heat Island (UHI) and the Plain - Plateau temperature Gradient (PPG) are shown with symbols (see legend). The LCZ definition is detailed in Diallo-Dudek et al. (2023) .

Dans le texte
thumbnail Figure 2

Distribution des températures estivales (juin à août) quotidiennes minimale (bleu) et maximale (rouge) mesurées au centre-ville de Dijon sur la période 2014-2021. Les trois lignes en pointillés correspondent aux percentiles 90, 95 et 99. Distribution of daily minimum (blue) and maximum (red) temperature recorded in the city centre of Dijon between June and August over the 2014-2021 period. The three dotted lines correspond to percentiles 90, 95 and 99.

Dans le texte
thumbnail Figure 3

Cartes du champ de pression de surface (contours blancs; hPa) et de l’altitude du géopotentiel à 500 hPa (plage de couleurs; m) sur le secteur Atlantique Nord - Europe à 12:00 UTC (a) le 24 juillet 2019 et (b) le 4 juillet 2015. Source : Wetterzentrale (www.wetterzentrale.de), réanalyse CFS. Maps of surface pressure (white contours; hPa) and 500 hPa geopotential height (shadings; m) over the North Atlantic - Europe sector at 12:00 UTC in (a) July 24, 2019 and (b) July 4, 2015. Source: Wetterzentrale (www.wetterzentrale.de), CFS reanalysis.

Dans le texte
thumbnail Figure 4

Températures quotidiennes minimale (bleu) et maximale (rouge) mesurées à la station Météo France de Longvic durant les mois incluant les cinq épisodes caniculaires étudiés à Dijon (voir tableau 1). Les encarts verts en pointillés et acronymes distinguent les types de circulation atmosphérique GWL au cours de ces épisodes (voir tableau 2). Minimum (blue) and maximum (red) daily temperatures as measured by the Météo France Longvic weather station during the months corresponding to heat wave occurrence in Dijon (see tableau 1). The green dotted inserts and acronyms correspond to the GWL atmospheric circulation regimes during the heat wave periods (see tableau 2).

Dans le texte
thumbnail Figure 5

Chroniques horaires de l’ICU (rouge), du GPP (violet) et de la vitesse du vent à 10 m (noir) pour chacune des cinq canicules identifiées à Dijon entre 2014 et 2021. Les encarts grisés correspondent aux nuits. Hourly timeseries of the UHI (red), PPG (purple) and 10 m wind speed (black) for each of the five heat waves identified in Dijon between 2014 and 2021. The shaded areas in grey represent the night.

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thumbnail Figure 6

Comme la figure 5 mais pour le vent méridien (noir) et zonal (vert). La chronique de l’ICU (rouge) est également montrée. 4s in figure 5 but for the meridional (black) and zonal (green) wind. The UHI curve (red) is also shown.

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thumbnail Figure 7

Synthèse de la relation entre ICU, GPP, vitesse du vent et vent méridien moyennés entre 20 et 3 h UTC pour les (a) 24 nuits caniculaires et (b) 105 nuits chaudes identifiées à Dijon entre 2014 et 2021. La taille et la couleur des cercles correspondent à la vitesse du vent et à sa direction méridienne, respectivement. Leur position est fonction de l’ICU (en abscisses) exprimé en anomalie par rapport à l’ICU moyen des 24/105 nuits étudiées et du GPP (en ordonnées). Les cercles noirs correspondent aux quatre cas retenus pour examiner les structures spatiales récurrentes de la température de l’air nocturne lors des canicules. Synthesis of the relationship between UHI, PPG, wind speed and meridional wind averaged between 20 and 3h UTC for (a) the 24 heat wave nights and (b) 105 hot nights identified in Dijon between 2014 and 2021. The circle size and color show wind speed and its meridional direction, respectively. The circle position depends on the UHI (x-axis) expressed in anomaly compared to mean UHI conditions averaged for the 24/105 nights and on the PPG (y-axis). The black circles correspond to the case studies retained to examine recurrent spatial patterns in nocturnal air temperature during heat waves.

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thumbnail Figure 8

Principales structures spatiales de la température de l’air nocturne à Dijon pendant les canicules obtenues par interpolation statistique (voir section 1.3). (a) ICU fort, inversion thermique et vent faible de secteur nord. (b) Comme (a), mais en présence de vent faible de secteur sud. (c-d) Comme (a-b), mais pour un ICU faible et un gradient adiabatique. La température utilisée en entrée du modèle d’interpolation est exprimée en anomalie par rapport à la température des stations rurales de plaine (même stations que celles mobilisées pour les indices ICU et GPP). Les prédicteurs sélectionnés pour produire chaque carte sont indiqués par ordre d’apparition dans le modèle d’interpolation statistique avec des acronymes (Alt=altitude, Ampl-B=amplitude des bosses, Ampl-V=amplitude des vallées, Dist- CV=distance au centre-ville, Fract-FE=fraction des forêts et d’eau, Fract-GC=fraction des grandes cultures, Fract- VB=fraction de végétation basse et Lat=latitude), ainsi que le coefficient de détermination ajusté (R2) et l’erreur quadratique moyenne (RMSE) issue d’une validation croisée. Main spatial patterns in nocturnal air temperature during heat waves derived from statistical interpolation (see section 1.3). (a) Strong UHI, thermal inversion and weak northerly wind. (b) As in (a) but for weak southerly wind. (c-d) As in (ab) but for weak UHI and adiabatic gradient. The temperature used to feed the interpolation model is expressed in anomaly compared to the temperature measured in the plain (same stations as those used to compute the UHI and PPG indices). The predictors used to create each map are listed by order of appearance in the statistical interpolation model with acronyms (Alt=elevation, Ampl-B=hump magnitude, Ampl-V=valley magnitude, Dist-CV=distance from the city centre, Fract-FE=fraction of forest and water, Fract-GC=fraction of field crops, Fract-VB=fraction of low vegetation and Lat=latitude), as well as the determination coefficient (R2) and the root mean square error (RMSE) from a crossvalidation.

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