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Climatologie
Volume 20, 2023
Changement climatique : les territoires acteurs des trajectoires d’adaptation et de transition écologique
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Article Number | 7 | |
Number of page(s) | 14 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/climat/202320007 | |
Published online | 24 October 2023 |
Enjeux de l’adaptation à la chaleur en ville et action publique : apports de l’interdisciplinarité et de la recherche-action - Cas de la métropole toulousaine
Challenge of heat adaptation in cities and public action - Contributions of interdisciplinarity and action research - Case of the Toulouse Metropolis
1
Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités Sociétés Territoires (LISST), Université de Toulouse, CNRS, 5 Allée Antonio Machado, 31058 Toulouse, France
2
Agence d’urbanisme et d’aménagement Toulouse aire métropolitaine, 11 boulevard des Récollets, 31078 Toulouse Cedex 4, France
3
Centre National de Recherches Météorologiques (CNRM), Météo-France, CNRS, 42, Avenue Gaspard Coriolis, 31057 Toulouse Cedex 1, France
4
Toulouse Métropole, 6 rue René Leduc, 31505 Toulouse, France
* Auteure de correspondance : genevieve.bretagne@univ-tlse2.fr
Le contexte législatif national, comme les attentes citoyennes exprimées pour plus d’informations et d’actions relatives aux enjeux climatiques, ont progressivement incité à la territorialisation des politiques climatiques et énergétiques locales, ainsi qu’à l’émergence de l’enjeu d’adaptation climatique sur les territoires. Cette dynamique de spatialisation des enjeux climatiques trouve sa déclinaison à l’échelle de la métropole toulousaine depuis plus de 10 ans, du fait d’enjeux multiples sur le territoire : géographiques, climatiques et urbains. Les travaux de recherche menés localement autour des thématiques Ville, Environnement et Climat ont répondu au contexte favorable d’interdisciplinarité et de collaboration avec les acteurs urbains, soutenues par plusieurs appels à projets de recherche nationaux et européens. Deux objectifs majeurs sont affichés : coconstruire une connaissance afin de caractériser les enjeux climatiques et énergétiques propres au territoire toulousain, et proposer un accompagnement spécifique auprès des acteurs urbains pour mieux faire comprendre et objectiver les enjeux locaux, afin d’intégrer ces derniers dans les politiques et les actions publiques locales. Le présent article propose de revenir sur la synergie permise par cette collaboration, en s’attachant d’une part à présenter le processus de travail interdisciplinaire mis en place et, d’autre part, à montrer les productions de données et d’expertises qui en ont résulté.
Abstract
French legislative context, like citizens’ expectations about more information and actions relating to climate issues, have gradually encouraged territorialization of local climate and energy policies, as well as the emergence of the issue of climate adaptation in territories. This dynamic of spatialization of climate issues has been applied on the scale of the Toulouse Metropolis for more than ten years, due to geographical, climatic, and urban issues on the territory. The research work carried out locally around themes of City, Environment and Climate has responded to favorable context of interdisciplinarity and collaboration with urban actors, supported by several calls of national and European research projects. Two main objectives are displayed: co-build knowledge in order to characterize specific climate and energy issues to the Toulouse area and offer specific support to urban actors to better understand and objectify local issues, in order to integrate them into local policies and public actions. This article proposes to return to the synergy made possible by this collaboration, by showing on the one hand the interdisciplinary work process put in place and on the other hand data and expertise which have been produced.
Mots clés : adaptation climatique / climat urbain / interdisciplinarité / collaboration chercheurs-acteurs urbains / Toulouse Métropole
Key words: climate adaptation / urban climate / interdisciplinarity / collaboration between researchers and urban actors / Toulouse Metropolis
© G. Bretagne et al., hosted by EDP Sciences 2023
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Introduction
Initialement considérée comme un ajustement à la marge des politiques territoriales, l’adaptation climatique devient ‘transformationnelle’ et renvoie à un processus proactif, invitant à des évolutions structurelles fortes (Haouès-Jouve et Hidalgo, 2016; Simonet, 2020; Haut Conseil pour le Climat, 2022) pour prendre en considération à l’échelle locale des enjeux sanitaires, alimentaires et infrastructurels de plus en plus prégnants (Portner et al., 2022).
Le cadre législatif français a évolué vers une amélioration de la prise en compte des enjeux énergétiques et climatiques, depuis les lois Grenelle de 2009 et 2010. Dans le champ de l’urbanisme, l’action des collectivités publiques doit désormais viser « la lutte contre le changement climatique et l’adaptation à ce changement » (article L101-2 Code de l’urbanisme).
Ce contexte, couplé aux attentes citoyennes sur la question climat, a progressivement incité à la territorialisation des politiques climatiques et énergétiques locales, ainsi qu’à l’émergence d’un enjeu d’adaptation climatique thématisé et localisé. Des boîtes à outils ont vu le jour, destinées à sensibiliser aux enjeux microclimatiques locaux (tels que la boîte à outils Air, Climat et Urbanisme de l’agence d’urbanisme de la région grenobloise), à utiliser des outils quantitatifs non spatialisés (comme Clim’Urba du CEREMA), ou des outils spatiaux fondés sur une modélisation du tissu urbain ou microclimatique (Score ICU de E6 Consulting, cartographies LCZ, outil GeoClimate de la Fondation GEOMANUM, par exemple). Elles visent à faciliter l’appropriation des enjeux énergétiques et climatiques dans les documents d’urbanisme, qu’ils soient réglementaires (schéma de cohérence territoriale, plan local d’urbanisme) ou opérationnels (projets d’aménagement urbain et immobiliers).
Si plusieurs territoires se préoccupent aujourd’hui des enjeux climatiques, nous faisons le choix de cibler notre propos sur la métropole toulousaine, où une démarche de territorialisation de ces enjeux se décline depuis plus de 10 ans. La collectivité est très dynamique, affichant depuis plusieurs années un solde positif en termes d’habitants, d’emplois et d’étudiants (AUAT, 2022). Cela se traduit par un développement urbain au rythme soutenu, via des grands projets sous maîtrise publique (comme les zones d’aménagement concerté), mais surtout de multiples projets urbains portés par le secteur privé, non maîtrisés. La ville se densifie, avec des choix d’aménagement hétérogènes. Du point de vue climatique, le territoire s’inscrit dans la zone de climat « Bassin du Sud-Ouest » (Joly et al., 2010), à 150 kilomètres de la côte méditerranéenne et à 70 kilomètres des Pyrénées. Cette situation en plaine, en l’absence de vent, ne génère pas de capacité à se rafraîchir par effet de brise, alors qu’on observe une hausse régulière des températures moyennes de +1,2°C depuis 1990 (données de référence de la station Météo-France de Blagnac, hors des effets directs de l’urbanisation). Les températures atteignent plus de 25°C sur plusieurs mois, entre avril et octobre, voire 30 à 35°C entre juin et août. Toulouse Métropole doit faire face à trois principaux aléas climatiques : des inondations par débordement de cours d’eau et par ruissellement des eaux pluviales, une sécheresse des sols et une hausse des températures. Au regard des enjeux sanitaires (WMO, 2021) et économiques (consommations d’eau et d’énergie, activités économiques, attractivité touristique), la hausse des températures constitue un défi majeur, avec la nécessaire prise en compte des canicules aggravées simultanément par le changement climatique et le phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU), qui atteint possiblement +4 à +6°C la nuit (Dumas, 2021).
Dans ce contexte, la collectivité adopte dès 2012 son Plan Climat Energie Territorial (PCET). Entre 2010 et 2015, sa participation à des projets européens (SUDOE Mi Ciudad AC2, SUDOE EcoHabitat) ou nationaux (POPSU 1 et 2 ‘Changement climatique et transition énergétique’) favorise la construction de connaissances et l’émergence d’un discours technique sur les sujets énergie et climat. De façon corrélée, les travaux de recherche autour des thématiques Ville, Environnement et Climat ont répondu au contexte favorable d’interdisciplinarité et de collaboration avec les acteurs urbains, soutenues par plusieurs appels à projets, tels que PUCA - PIRVE 2008-2012, ANR - Ville durable 2008-2013 (EUREQUA, MApUCE), ADEME - Rafraichissements urbains 2012 (IFU), ADEME - MODEVAL URBA 2017-2021 (PAENDORA), Horizon 2020 (I-HEROS), ADEME-PACTE 2022 (PAENDORA2) et locaux tels que RTRA-STAE (ACCLIMAT). La recherche locale est principalement organisée autour du Centre national de recherche en météorologie (CNRM) de Météo-France, du Laboratoire interdisciplinaire solidarités sociétés territoires - équipe du centre interdisciplinaire d’études urbaines (LISST-CIEU) de l’Université Toulouse Jean Jaurès, et du Laboratoire de recherche en architecture (LRA) de l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse. Les projets affichent deux objectifs majeurs. Le premier est de coconstruire une connaissance afin de caractériser les enjeux climatiques et énergétiques propres au territoire toulousain. Le second vise à proposer un accompagnement opérationnel spécifique auprès des acteurs urbains pour mieux faire comprendre et objectiver les enjeux locaux et les intégrer dans les politiques et les actions publiques locales, formant ainsi des services climatiques urbains intégrés (Ibid.).
La métropole toulousaine représente un cas d’étude intéressant la recherche-action à plusieurs titres. Plusieurs communautés d’acteurs urbains et de recherche sont présentes localement. L’agenda politique a créé des opportunités pour associer ces acteurs dans des démarches de transferts réciproques au bénéfice d’une production climatique plus opérationnelle. Toulouse Métropole a engagé en 2015 l’élaboration de son Plan local d’urbanisme intercommunal et Habitat (PLUi-H) et celle de son Plan climat air énergie territorial (PCAET) en 2017. Chacun des projets de recherche avait des objectifs précis en termes de productions et de résultats. Leur succession et leurs articulations ont été construites au gré d’enjeux scientifiques qui dépassent le contexte local et des opportunités de financement liées aux appels à projet. Ces recherches-actions ont cependant contribué à consolider pas à pas un processus de collaboration interdisciplinaire entre chercheurs et acteurs de la fabrique urbaine autour de l’enjeu d’adaptation à la chaleur en ville. Le présent article propose de revenir sur la synergie permise par cette collaboration, en s’attachant à présenter le processus de travail interdisciplinaire mis en place, puis à montrer les productions de données et d’expertises qui en ont résulté.
1. Vers une démarche de travail interdisciplinaire : cadre et méthodes mobilisées
Le processus de travail interdisciplinaire entre les chercheurs et les acteurs urbains toulousains sur l’enjeu d’adaptation à la chaleur en ville a bénéficié d’opportunités offertes par la mise en œuvre croisée de méthodes de production de données et d’expertises pluridisciplinaires.
1.1. La construction du cadre et confortement du processus de collaboration
Le projet de recherche CAPITOUL (2004) a permis la réalisation d’une campagne de mesures à l’échelle de Toulouse, constituant un socle pour la connaissance du climat urbain. Très vite, l’objectif de mieux comprendre les interactions entre climat, formes urbaines et modes d’habiter (PIRVE, 2006) a orienté la recherche dans un format pluridisciplinaire, développant des analyses quantitatives et qualitatives croisées. PIRVE est le premier d’une dizaine de projets de recherche sur lesquels nous portons notre attention, déployant des démarches interdisciplinaires autour du climat urbain, mobilisant plusieurs équipes locales de recherche et associant des acteurs urbains (figure 1).
Figure 1 Principaux projets de recherche portant sur le climat urbain, sur la métropole toulousaine, mobilisant des équipes de recherche et des acteurs urbains locaux (Bretagne et al., 2022). Main research projects about urban climate, in the Toulouse Metropolis, mobilizing research teams and local urban actors. |
Quatre de ces proj ets ont été pilotés par le CNRM (CAPITOUL, ACCLIMAT, MApUCE, PAENDORA), trois par le LISST-CIEU (PIRVE, EUREQUA, PAENDORA2) et trois par le LRA (IFU, CAPACITES, MULTIPLICITES). Des contacts ont été pris avec l’agence d’urbanisme et d’aménagement Toulouse aire métropolitaine (AUAT) au moment de la restitution du projet PIRVE, mais c’est à partir du projet ACCLIMAT qu’un partenariat plus étroit s’est établi avec les acteurs urbains. L’AUAT a fait partie des consortia constitués pour les projets ACCLIMAT, MULTIPLICITES et PAENDORA. Le projet EUREQUA comptait l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile de France et l’Agence Lion parmi ses partenaires et a associé l’AUAT en fin de démarche. La Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU) a rejoint le consortium constitué par le projet MApUCE, représentée par cinq agences d’urbanisme, dont l’AUAT en tant que coordinateur technique. La FNAU est à nouveau partenaire du projet PAENDORA2. L’association des professionnels de l’urbanisme en Midi-Pyrénées (APUMP) était partenaire du projet CAPACITES. A partir du projet ACCLIMAT, les équipes d’urbanistes de Toulouse Métropole ont été associées aux démarches de recherches; l’institution est partie prenante du projet de recherche PAENDORA2. Depuis 2020, Toulouse Métropole porte également le projet I- HEROS dans une configuration européenne.
La succession des projets a permis de confirmer la faisabilité et l’intérêt d’une recherche interdisciplinaire sur les sujets climat et énergie, mettant en synergie des équipes locales. Elle a également permis de mobiliser les urbanistes toulousains dans une démarche réflexive et prospective sur le cadre et les modalités de leurs interventions. Un processus de collaboration s’est ainsi construit pas à pas, confortant et facilitant la mise en projet partenariale.
1.2. Les méthodologies mobilisées
Les démarches interdisciplinaires ont donné lieu à la mise en œuvre de méthodologies d’investigation propres à chaque champ de compétences représenté dans les équipes projet. A partir du cadre réglementaire précisé par les juristes, les urbanistes ont dimensionné le cadre opérationnel (acteurs, gouvernance territoriale, élaboration technique), en lien avec les autres documents d’urbanisme. Les géographes et les climatologues ont produit les données urbaines et microclimatiques, formalisées par les cartographes et les géomaticiens en faveur d’un diagnostic microclimatique territorialisé. Les démarches ou les outils ont été mobilisés de façon complémentaire, voire itérative (tableau 1).
Principaux outils et démarches mobilisés dans les projets de recherche (G. Bretagne, 2022). Main tools and approaches used in research projects.
2. La production de données et d’expertises au profit d’un transfert vers les acteurs urbains
Chaque projet a constitué une opportunité d’acculturation réciproque, rapprochant les communautés de chercheurs et d’acteurs urbains. Des conditions favorables à une collaboration étroite, active et de long terme ont été proposées par le projet MApUCE, suivi des projets PAENDORA et PAENDORA2. Elles ont donné lieu au développement d’une méthodologie de production de données et d’expertises climatiques, coconstruites et directement exploitables par les urbanistes (Bretagne et al., 2020). Ces éléments étayent un discours sur le climat décliné en temps réel dans les démarches de PLUi-H et de PCAET engagées par Toulouse Métropole à partir de 2015, et ouvrent des perspectives innovantes à l ‘ échelle des projets d’aménagement et dans la création de services climatiques urbains intégrés.
2.1. Une mobilisation interdisciplinaire et intersectorielle, via la création d’un groupe de travail dédié et la signature de deux conventions de partenariat
L’élaboration du PLUi-H s’est appuyée dès 2015 sur une gouvernance spécifique, technique et politique. Un groupe de travail Energie - Climat a été créé, piloté par le Service Planification Urbaine (SPU), en lien avec les autres groupes de travail thématiques. La Direction Environnement et Energie (DEE) de Toulouse Métropole, l’AUAT et le LISST-CIEU en étaient parties prenantes et ont assuré l’articulation avec le projet MApUCE.
Ce groupe de travail avait trois objectifs : 1) partager des éléments de connaissance et de compréhension des enjeux climatiques propres au territoire toulousain et des leviers d’action publique en urbanisme, 2) travailler collégialement la représentation graphique des productions et des outils de transfert, et 3) élaborer des recommandations mobilisables dans les exercices d’urbanisme. De façon corrélée, une convention de partenariat a été signée en 2015 formalisant, pour une durée de quatre ans, la collaboration entre le LISST-CIEU et le service Plan Climat de la DEE. Préalablement, le LISST-CIEU avait accompagné la Métropole pour la rédaction d’un cahier des charges visant l’élaboration d’un profil climatique. Ce groupe de travail dédié a perduré lors de l’élaboration et la mise en œuvre du PCAET, au- delà de la durée prévue. Ses travaux ont directement alimenté la production des volets du PLUi-H (section 2.3.1), ainsi que les séminaires d’échanges et de restitution avec les élus ponctuant chaque étape de la procédure d’élaboration. Par extension, ils ont alimenté la démarche de PCAET, aux étapes de diagnostic et de définition du plan d’actions. Cette collaboration a favorisé la signature d’une seconde convention de partenariat en 2017, entre le CNRM et Toulouse Métropole, finançant et encadrant un atelier d’étudiants de Master (2016), un stage de Master 2 (2017) et une thèse sur la coconstruction d’un réseau d’observation du climat urbain et de services climatiques associés sur la métropole toulousaine (2018-2021) (section 2.3.2). Enfin, dans le souci de partager un discours cohérent auprès de tous les acteurs urbains toulousains, un rapprochement avec la société d’économie mixte Oppidea, aménageur de Toulouse Métropole, a permis en 2021-2022 l’organisation d’évènements communs sur les enjeux de chaleur en ville et du phénomène d’ICU (sections 2.2.2 et 2.2.3).
2.2. La production de données et d’expertises spécifiques pour la métropole toulousaine
2.2.1. Une amélioration de la connaissance au bénéfice du diagnostic territorial et de la définition d’indicateurs d’évaluation
L’impulsion donnée par le PLUi-H a stimulé la production de nouvelles connaissances climatiques. Un profil climatique détaillé, à partir de séries de la station de référence de Blagnac, a été produit en 2015 par le bureau d’études de Météo-France, sur commande de la Métropole. Le projet MApUCE a partagé dès 2016-2017 la production d’une cartographie des zones climatiques locales (LCZ), associant un comportement climatique à chaque typomorphologie urbaine, permettant de pallier à ce moment-là le manque de données de mesures et de modélisations spatiales à haute résolution (Hidalgo et al., 2019). Ces éléments ont initié une analyse autour de la question climatique, principalement à partir des enjeux de chaleur en ville - associés notamment à l’îlot de chaleur nocturne et aux vagues de chaleur - et de leur spatialisation. Durant cette période, la remobilisation d’une classification des situations météorologiques (ou types de temps sensibles) typiques de la métropole toulousaine (Hidalgo et al., 2014; Hidalgo et Jougla, 2018) a permis de retenir trois d’entre elles par le groupe de travail pour cibler l’observation et l’action publique sur le phénomène de stress thermique estival : des situations propices à des fortes températures journalières (TTS7), au développement d’un ICU nocturne (TTS8) ou aux deux (TTS9).
En 2017, une première modélisation des conditions nocturnes de température a été réalisée à l’échelle de la Métropole pour une situation typique d’été (TTS9) et pour une situation caniculaire, sur la base des données sur l’ICU nocturne issues de la campagne de mesures CAPITOUL. Ce travail a participé à améliorer l’approche de la vulnérabilité qui prévalait jusqu’alors.
A partir de 2018, les modélisations climatiques issues d’un modèle numérique de climat (projet MApUCE) ont produit, pour les situations météorologiques locales citées, des cartographies du phénomène d’îlot de chaleur urbain nocturne (indicateur ICU) qui décrivent l’impact de l’urbanisation et de l’occupation du sol sur les premières couches atmosphériques. Une carte du niveau de stress thermique en journée (indicateur Universal Thermal Confort Index (UTCI)), qui va dépendre du degré de continentalité, de la topographie et l’urbanisation de la ville, a aussi été établie ainsi qu’une carte des conditions aérauliques locales identifiant les secteurs les plus favorables à la ventilation naturelle (Hidalgo et al., 2023). Des données urbaines ont été mises à disposition, relatives à la morphologie urbaine, l’architecture, la végétation, les typologies de bâtiments, les typologies de quartiers en lien avec le microclimat, ainsi que des indicateurs socio-économiques liés au comportement énergétique dans le tertiaire (MApUCE Guide). Différents croisements entre données climatiques (indicateurs ICU et UTCI, données de températures caniculaires) et données socio-économiques (population, emplois, établissements recevant du public sensible) ont été explorés par l’AUAT, dans la perspective de définir des recommandations spécifiques territorialisées.
2.2.2. L’organisation d’ateliers de sensibilisation à destination des urbanistes
Dans le cadre de la mise en œuvre du PCAET, la DEE a organisé en 2018 et 2019 deux réunions interservices. Il s’agissait de capitaliser par le partage les éléments de connaissance produits par le groupe de travail interdisciplinaire et d’en faciliter l’appropriation par des acteurs urbains, de niveaux de connaissance hétérogènes sur la question climat et dotés de compétences variées. Ces ateliers ont réuni une vingtaine d’agents, représentant une dizaine de services (Plan Climat, DEE, SPU, Accompagnement et Evaluation du PLUi-H, Habitat et Opérations Foncières, Espaces verts, Prospective Urbaine, Gestion de l’Eau, des Milieux Aquatiques et Prévention Inondation, Mobilité Gestion Réseau, Grand Projet Toulouse Aerospace). Ces réunions visaient de surcroît à mettre en perspective collectivement des recommandations, applicables aux échelles de la planification et du projet d’aménagement, pour la réduction du phénomène d’ICU. La réflexion a été organisée autour de quatre types de zones urbaines préidentifiées comme sensibles : l’hypercentre, les faubourgs de la ville-centre, les centres-villes des communes de première couronne, les zones commerciales et d’activités. Les échanges ont directement alimenté le Guide de recommandations produit par la DEE (section 2.2.3).
Pour conforter l’appropriation des concepts et des solutions et développer une culture de l’ICU et de la chaleur en ville, trois ateliers « Projet urbain & ICU » ont été coorganisés en 2022, avec pour objectifs de réunir des acteurs urbains autour d’un projet d’aménagement de la Métropole, mieux appréhender le phénomène d’ICU, développer l’autonomisation, faire connaître et bénéficier de l’expertise climatique locale et identifier les questionnements propres au territoire. Ces ateliers représentent un tournant important, dans la mesure où ils ont été mis en place par les chercheurs et l’AUAT, à partir des besoins exprimés par les urbanistes.
2.2.3. Des coproductions pour aider la compréhension et la déclinaison des enjeux climatiques
Des fiches thématiques et des mémentos techniques à visée pédagogique ont été corédigés dès le lancement du PLUi-H, à destination des urbanistes. Les fiches thématiques, dont une cible le phénomène d’ICU, précisent le cadrage réglementaire et méthodologique en vigueur, indiquent des traductions possibles et apportent des illustrations et quelques recommandations. Un mémento technique porte spécifiquement sur le confort climatique d’été. Destiné aux acteurs techniques de la métropole (disponible sur demande), il synthétise les données à considérer, des exemples de mesures à définir et se veut une aide à la construction des opérations d’aménagement et de programmation (OAP).
L’AUAT a publié en 2020 un atlas climatique sur le territoire métropolitain, déclinant les cartographies de l’ICU nocturne et du stress thermique diurne aux échelles intercommunale et communale (AUAT, 2020; figure 2).
Figure 2 Cartographies de l’ICU nocturne et de l’UTCI diurne sur la commune de Balma, extrait de l’Atlas climatique sur le périmètre de Toulouse Métropole, aua/T, mai 2020. Maps of the nocturnal UHI and the daytime UTCI in the municipality of Balma, extracted from the Climatic Atlas on the perimeter of Toulouse Métropole, aua/T, May 2020. |
Dans la même temporalité, le projet MApUCE a proposé des leviers juridiques restitués sous forme de fiches par type de document d’urbanisme (MApUCE Guide). Cette volonté du groupe de travail de favoriser l’appropriation de la connaissance climatique comme levier de l’action publique s’est maintenue en 2020-2021 (projet PAENDORA), avec l’élaboration de cartes climatiques d’analyse et de recommandations à visée opérationnelle. Un collectif français de cartographes, GeoVISU, a été mobilisé afin de proposer une démarche de visualisation des données climatiques locales en fonction 1) du niveau de stress thermique diurne et du vent et 2) de l’ICU nocturne et du vent (Jégou et al., 2022; Manet, 2022; Hidalgo et al., 2023).
Afin de toucher un public professionnel plus large, un séminaire Ville et Climat a été proposé en 2021 par le groupe de travail, associé à Oppidea, réunissant une centaine de participants. Il visait à mettre au débat des informations sur les enjeux climatiques en milieu urbain, des exemples de recommandations et de traductions réglementaires, l’identification d’outils et de sources d’informations territorialisées, et des retours de bonnes pratiques.
En 2020-2022, plusieurs outils et guides ont été produits collectivement, pilotés par l’une ou l’autre des parties prenantes. Le Kit des données clés de l’adaptation en urbanisme, piloté par le LISST- CIEU et paru sous la ligne éditoriale de l’ADEME en 2020 (ADEME, 2020), précède de peu le Guide de recommandations ‘Prise en compte du climat dans la construction de la métropole de demain’ à destination des services de Toulouse Métropole et des aménageurs/promoteurs, piloté par Toulouse Métropole (2021) (figure 3).
Figure 3 Couvertures des deux principaux guides pratiques de recommandations élaborés par le groupe de travail. Covers of the two main practical guides of recommendations developed by the working group. |
Les ateliers organisés en 2022 (section 2.2.2) ont donné lieu à l’élaboration de documents supports à l’animation, tels qu’un livret ‘ Comment agir contre l’îlot de chaleur urbain à l’échelle du projet urbain ? Quels leviers pour rafraîchir la ville ?’, par l’AUAT, et une présentation synthétique du contexte climatique par Toulouse Métropole.
2.3. Un transfert opérationnel vers les services de Toulouse Métropole
2.3.1. Une traduction dans le PLUi-H et le PCAET
La phase de diagnostic territorial du PLUi-H, engagée en 2015-2016, a principalement bénéficié d’une cartographie du phénomène d’ICU, sur la base des données issues de la campagne de mesures CAPITOUL. Même si elle ne couvrait que partiellement le territoire, cette connaissance innovante a permis d’affirmer de nouveaux enjeux, tels que le développement du bioclimatisme aux échelles du bâtiment et de l’opération d’aménagement, en privilégiant le confort d’été, la réhabilitation des bâtiments, la lutte contre la précarité énergétique et la réduction de l’ICU conjointement à la préservation et au développement des îlots de fraîcheur. Les orientations stratégiques du Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) ont encouragé dès 2017, de façon novatrice à Toulouse, la conception bioclimatique, la réduction des ICU via la protection de la nature en ville, ainsi que la réduction des dépenses énergétiques et la valorisation des énergies gratuites. Dans le premier PLUi-H, les dispositions relatives au bioclimatisme ont été intégrées dans le règlement écrit (2018) et non pas dans une OAP thématique, contrairement à la majorité des PLU en France (cas du PLUi de Nantes Métropole, par exemple). Ces règles font directement le lien avec le projet de trame verte et bleue métropolitaine, en ciblant la protection des îlots verts de fraicheur, l’application d’un coefficient minimal de pleine terre ou d’un coefficient de surface éco-aménageable, le traitement environnemental et paysager des espaces non bâtis, comme autant de leviers pour réduire l’ICU. Les OAP portent également l’enjeu de préservation du confort d’été, sur la base de recommandations similaires. En revanche, ces règles et recommandations n’ont pas été spatialisées en fonction de l’ICU, la modélisation finalisée de ce dernier n’étant pas disponible au moment de l’élaboration du premier exercice d’urbanisme.
Relancée en 2022, la démarche d’élaboration du PLUi-H bénéficie d’un socle de connaissances climatiques conforté, le processus de recherche-action ayant poursuivi son parcours indépendamment du calendrier du document d’urbanisme. Ces connaissances permettent aujourd’hui de consolider les volets bioclimatiques et de lutte contre les ICU dans le PADD, et d’approfondir la déclinaison des outils réglementaires, en complémentarité avec les OAP. Le nouvel exercice de PLUi-H projette une augmentation du pourcentage d’espace de pleine terre, partout, dès que possible, dans un objectif de multifonctionnalité : lutter contre les ICU, préserver la biodiversité, favoriser le cycle naturel de l’eau, stocker le carbone… Le climat devient le fil rouge du nouvel exercice de PLUi-H, dans une vision plus transversale et intégratrice.
Le diagnostic territorial du PCAET a amélioré son approche de la vulnérabilité du territoire au changement climatique, en intégrant les éléments de modélisation du stress thermique en jour typique d’été et en condition caniculaire. Le croisement de données climatiques avec des données socio- économiques a complété cette approche de manière innovante. Le PCAET constitue aujourd’hui le cadre de référence pour les actions de sensibilisation et d’appropriation du phénomène d’ICU, et plus largement de la chaleur en ville, portées par la Métropole. Le Plan Rafraichissement, en cours de définition par la collectivité, traduit lui aussi la prise en main des résultats de la collaborati on chercheurs-acteurs.
2.3.2. La création de services climatiques urbains intégrés au sein de la métropole
Bénéficiant de la dynamique du projet MApUCE, la démarche de PCAET a saisi les opportunités offertes par l’initiative Smart-City de la Métropole et la création d’un Observatoire Environnemental Urbain, pour engager la mise en place d’un monitoring internalisé des températures de l’air et des phénomènes d’ICU, à base d’objets connectés (Dumas, 2021).
S’appuyant notamment sur la cartographie LCZ issue du projet MApUCE et sur une campagne de mesures véhiculée, un réseau de stations météorologiques a été défini sur l’ensemble du territoire métropolitain (78 stations à ce jour). Implanté dans un objectif de suivi en temps réel du climat urbain, ce réseau permet de renouveler la cartographie de l’intensité de l’ICU nocturne sur la base de mesures et de mettre en perspective des services climatiques complémentaires (suivi des températures au sein des parcs et jardins, des écoles ou des sites urbains en cours d’aménagement, suivi des impacts des opérations de végétalisation, portail web de cartographie de l’ICU en temps réel.). Il bénéficie d’une méthode d’interpolation spatiale de données de mesures, sur la base de celle développée dans le projet MApUCE (Touati et al., 2020). Le réseau permet au citoyen de se saisir des questions climatiques en livrant en open data les données sur le site de la Métropole (figure 4). Cette action a été menée conjointement par Toulouse Métropole, le LISST et Météo-France via le co-financement d’une thèse interdisciplinaire (Dumas et al., 2021). Le travail se poursuit par une prestation de recherche Métropole-CNRS jusqu’en 2023. Cette démarche dote la Métropole en interne d’une expertise et d’une compétence métier innovante, qui s’est définie et légitimée par des méthodes de coconstruction avec les différentes directions métier.
Figure 4 Capture d’écran de la plateforme OpenData de Toulouse Métropole mettant à disposition des données issues de la station météorologique Toulouse-Ile Empalot (https://data.toulouse-metropole.fr/explore/dataset/04-station-meteo-toulouse-ile-empalot/information/). Screenshot of the Toulouse Métropole OpenData platform providing data made available from the Toulouse-Ile Empalot weather station. |
3. Discussion
L’objectif de cet article est de montrer rétrospectivement la synergie de productions et d’expertises climatiques permise par la collaboration entre des chercheurs sur le climat urbain et des urbanistes de la métropole toulousaine. L’organisation mise en place, comme les méthodes complémentaires mises en œuvre, ont participé à construire une culture commune sur la question du climat urbain et des leviers opérationnels mobilisables par la collectivité pour répondre aux enjeux d’adaptation climatique.
3.1. L’interdisciplinarité pour faciliter le transfert réciproque de connaissances
La création du groupe de travail interdisciplinaire, très tôt dans le processus de collaboration, a constitué une étape fondatrice. Elle a offert de nouvelles conditions de travail transversales, ouvrant le cercle de partenaires, en interne à Toulouse Métropole, autour de compétences et de métiers différents, et avec l’extérieur : les chercheurs (issus de différents champs de compétences) et l’AUAT. La diversité des profils a participé à renouveler les approches et à améliorer la connaissance (O’Reilly et al., 2006). L’organisation sans hiérarchie a permis d’instaurer une relation de confiance et de produire des discours adaptés sur la thématique climatique comme sur les modalités de l’action publique. L’AUAT, par ses collaborations précédentes avec la recherche locale comme par ses missions auprès de la Métropole, a joué un rôle important d’organisation frontière (Bosboeuf, 2021), d’interface (Nicquevert, 2012), dans la mise en synergie des chercheurs et des agents de la collectivité.
Les acteurs urbains ont bénéficié d’une base scientifique robuste et directement explicitée. Le groupe de travail a alors mieux saisi les enjeux territoriaux et circonscrit les productions et les expertises attendues. Ce processus rejoint le concept d’ateliers d’innovation climatique (Bertrand et al., 2017) comme celui de stratégie innovante de transfert de connaissance (Ruiz, 2015). L’accès aux données issues du projet MApUCE a incité les urbanistes de Toulouse Métropole et de l’AUAT à s’en saisir et être force de proposition pour les valoriser (guide, atlas). La production du groupe de travail interdisciplinaire est ainsi passée du statut de « faire pour » à celui de « faire avec ». Elle a donné du crédit aux urbanistes pour diffuser au plus tôt la connaissance climatique. Mieux saisi, le sujet climat a été mis au débat pour la première fois avec les élus et constitue le fil conducteur de la deuxième édition du PLUi-H.
3.2. La dissémination au bénéfice d’une appropriation collective
Les ateliers ont créé l’occasion de mises en situation sur des territoires métropolitains, prétextes à des mises en dialogue entre acteurs de métiers divers, visant des marges d’intervention plus ambitieuses au regard des outils mobilisables. L’objectif était triple : favoriser la montée en capacité à se saisir des données et outils, faire émerger une culture professionnelle collective et accompagner, par le « faire faire », les acteurs urbains dans une démarche de projet. Ce croisement des regards apparait essentiel pour penser l’adaptation climatique des territoires (Bertrand et Richard, 2014; Piazza-Morel, 2019; Thou, 2021).
3.3. L’enjeu de la traduction opérationnelle en urbanisme
Les productions de données et d’expertises outillent désormais toute la chaîne locale d’acteurs de l’urbanisme de manière intégrée et innovante, levant ainsi un frein important à la mise en place de stratégie d’adaptation (Simonet et Leseur, 2016). La mise en pratique rencontre cependant quelques limites, dont nous présentons quelques exemples ci- après sans prétendre être exhaustif, rejoignant celles relevées par Parrod (Parrod et al., 2020).
Le PLU permet de fixer les règles générales d’utilisation des sols et de les spatialiser. La chaleur ne figure pas encore parmi les servitudes d’utilité publique annexées au document. Les collectivités sont ainsi contraintes de se tourner vers d’autres ressources pour intégrer l’enjeu climatique, sans directive en termes de représentation graphique. Le législateur propose plusieurs outils pour l’intégration d’espaces végétalisés, au motif de maintenir la biodiversité ou les paysages, mais participant aussi à prévenir ou résorber la chaleur en ville et les ICU (MApUCE Guide). Pour autant, les plantations sont difficiles à planifier sur la voirie publique : l’organisation historique des réseaux souterrains (pour le transport des fluides : eau, gaz, électricité) empêche aujourd’hui tout systématisme réglementaire. Le PLU peut contenir des prescriptions sur les matériaux au titre de la qualité architecturale et environnementale des constructions. Au-delà du respect d’une palette de couleurs, il peut demander l’utilisation de revêtements de façade et de surface de couleur claire et avec un fort albédo, en accord cependant avec les spécificités architecturales locales. Plusieurs leviers sont mobilisables pour favoriser le bioclimatisme dans les formes urbaines. A l’échelle du bâti, édicter des règles communes à toutes les constructions est possible, si elles sont correctement rédigées et intègrent des cas d’exception adaptés; un travail de consolidation a été réalisé en ce sens entre le SPU et les services instructeurs. La question de la ventilation naturelle reste à approfondir, avec cependant la perspective de pouvoir exiger les plans intérieurs lors du dépôt de permis de construire afin de vérifier une règle écrite du PLU. La déclinaison des enjeux climatiques dans les projets d’aménagement peut interroger la résolution des cartographies ICU. Des dispositifs technologiques complémentaires de mesures quantitatives sont envisageables, comme l’apport d’une approche sensible ou d’une expertise technique et scientifique. Mais c’est bien l’intégration concrète du sujet climat dans l’ingénierie de projet qui semble aujourd’hui en jeu, y compris dans l’attention à porter au risque de collusions entre politiques sectorielles : une végétalisation favorable au confort climatique est aussi propice au développement du moustique tigre.
3.4. Les temporalités de la recherche et de l’action publique
La communauté de recherche a pu se mobiliser sur un temps long, grâce au financement de deux projets de recherche (5 et 3 ans). Plusieurs des chercheurs impliqués, permanents, ont eu la capacité de composer avec les aléas institutionnels (changement d’interlocuteurs techniques, élections…) et de pouvoir gérer les calendriers de publication scientifique. Ce temps long est aussi plébiscité par les acteurs urbains pour améliorer la compréhension collective et la pertinence des productions communes. La concordance des calendriers a permis d’ancrer la réflexion dans la réalité d’exercices concrets de la collectivité. Toutes les données et cartographies n’ont cependant pas pu être intégrées dans les échéances de restitution des volets du PLUi-H et du PCAET. Elles sont désormais disponibles pour les éditions en cours et à venir et appuient les discours portés auprès des techniciens et des élus. Les phases d’information et d’enquête publique (PLUi-H), puis de mise en œuvre de ces politiques publiques, constituent des opportunités de « mesurer » leur degré d’acceptabilité sociale, par les retours citoyens écrits ou participatifs qu’elles suscitent. L’analyse de ces derniers est susceptible d’identifier les freins potentiels aux mesures proposées et de rediscuter l’action publique (Rey-Valette et al., 2019). Ce sujet de l’acceptabilité sociale n’a pas été analysé en tant que tel à ce jour dans les travaux relatifs à la collectivité Toulouse Métropole. Pour autant, elle y est attentive, afin d’ajuster le cadre et/ou les modalités de son action.
3.5. Adaptation à la chaleur en ville et atténuation de l’ICU
Les travaux menés sur la métropole toulousaine permettent de comprendre et caractériser les enjeux de chaleur en ville (ICU nocturne et canicule) et leur spatialisation. La mise en vis-à-vis des caractéristiques morphologiques, architecturales et organisationnelles des tissus urbains amène à préciser leurs facteurs de vulnérabilité et produire des recommandations spécifiques et territorialisées en matière d’adaptation réglementaire et opérationnelle des pratiques à l’œuvre (formes urbaines, vocations et occupations des sols notamment). La mise en place de dispositifs de suivi des températures et des pratiques permet d’évaluer la pertinence de ces dernières. Il s’agit bien d’éviter de reproduire des typologies urbaines favorisant une exposition ou une surexposition des territoires et des habitants à de fortes chaleurs. Certaines dispositions vont plus loin, en visant une réduction de l’ICU avéré (en tissu urbain constitué) ou une minimisation de l’ICU potentiel (en territoire de projet) par des dispositifs d’aménagement propres à favoriser une atténuation du phénomène (végétation, eau, albédo, aération des formes urbaines…) (Musy, 2014; Gramond, 2019).
Conclusion
La collaboration interdisciplinaire autour des enjeux de climat urbain entre chercheurs et urbanistes menée sur la métropole toulousaine a permis de répondre à deux enjeux majeurs. Par un travail transversal novateur, elle a facilité la compréhension et la construction de savoirs partagés sur les phénomènes climatiques propres à la ville et l’appropriation de l’enjeu d’adaptation climatique. Le processus de production de données et d’expertises a par ailleurs apporté des solutions locales à la question de l’accès à l’information climatique et à son usage, au regard des leviers mobilisables par l’action publique. Cette collaboration, construite sur le temps long, a favorisé une relation de confiance étroite entre la communauté de recherche locale et les acteurs urbains, aidée par le rôle clé d’acteur frontière joué par l’AUAT. Elle a participé à une évolution notable des pratiques internes à la collectivité, par un décloisonnement entre les équipes Environnement, Urbanisme et Aménagement, grâce à deux facteurs majeurs : un appui scientifique apportant du crédit et une stratégie de sensibilisation fondée sur l’expérimentation et l’itération. Les cadres d’élaboration des politiques publiques (PLUi-H, PCAET) comme d’autres initiatives (Smart-City) ont constitué autant d’opportunités pour explorer ensemble l’inscription de l’enjeu climatique dans les actions publiques portées par la collectivité. La transversalité de cette co-expertise locale, désormais reconnue, se poursuit aujourd’hui à travers de nouveaux partenariats locaux.
Remerciements
Le travail de recherche-action décrit dans cet article a été développé pendant les projets de recherche financés par l’Agence Nationale de la Recherche et l’ADEME, dans le cadre des subventions #ANR-13-VBDU-004 et #ADEME-171700002. Sont sincèrement remerciés les chercheurs et les acteurs urbains, permanents et contractuels, qui ont participé au bon déroulement des projets de recherche-action cités.
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Citation de l’article : Bretagne G., Hidalgo J., Haoues-Jouve S., Dumas G., Debrye L., Hanna A., Masson V., 2023. Enjeux de l’adaptation à la chaleur en ville et action publique : apports de l’interdisciplinarité et de la recherche-action - Cas de la métropole toulousaine. Climatologie, 20, 7.
Liste des tableaux
Principaux outils et démarches mobilisés dans les projets de recherche (G. Bretagne, 2022). Main tools and approaches used in research projects.
Liste des figures
Figure 1 Principaux projets de recherche portant sur le climat urbain, sur la métropole toulousaine, mobilisant des équipes de recherche et des acteurs urbains locaux (Bretagne et al., 2022). Main research projects about urban climate, in the Toulouse Metropolis, mobilizing research teams and local urban actors. |
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Figure 2 Cartographies de l’ICU nocturne et de l’UTCI diurne sur la commune de Balma, extrait de l’Atlas climatique sur le périmètre de Toulouse Métropole, aua/T, mai 2020. Maps of the nocturnal UHI and the daytime UTCI in the municipality of Balma, extracted from the Climatic Atlas on the perimeter of Toulouse Métropole, aua/T, May 2020. |
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Figure 3 Couvertures des deux principaux guides pratiques de recommandations élaborés par le groupe de travail. Covers of the two main practical guides of recommendations developed by the working group. |
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Figure 4 Capture d’écran de la plateforme OpenData de Toulouse Métropole mettant à disposition des données issues de la station météorologique Toulouse-Ile Empalot (https://data.toulouse-metropole.fr/explore/dataset/04-station-meteo-toulouse-ile-empalot/information/). Screenshot of the Toulouse Métropole OpenData platform providing data made available from the Toulouse-Ile Empalot weather station. |
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