Open Access
Numéro
Climatologie
Volume 11, 2014
Page(s) 19 - 33
Section Articles
DOI https://doi.org/10.4267/climatologie.562
Publié en ligne 9 octobre 2015

© Association internationale de climatologie 2014

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Introduction

Le climat est d’ordinaire appréhendé grâce aux données des stations climatologiques localisées en milieu ouvert et dégagé. En revanche, bon nombre d’autres contextes paysagers (villes, forêts) sont peu documentés par les agences météorologiques officielles. Si la ville avec son îlot de chaleur suscite depuis quelques années une recherche attentive, le climat des forêts sous la canopée n’est en revanche guère étudié. Or, contrairement aux villes dont l’extension est souvent limitée, la forêt, au moins en certaines régions, peut couvrir de très vastes surfaces. Les strates végétales basses de l’écosystème forestier et les animaux qui y vivent dépendent étroitement des conditions de température qui y règnent. La forêt constitue également un domaine récréatif qui, l’été, offre des conditions de confort (Renaud, 2010) propices à la randonnée pédestre. En hiver, la pratique du ski peut s’y poursuivre, au long des chemins qui la parcourent, plus longtemps que dans les secteurs ouverts adjacents car la neige y est souvent bien préservée en raison de la protection offerte par les arbres contre le rayonnement solaire direct et le vent (Friedland et al., 2003).

Le climat sous couvert forestier n’est pas tout-à-fait le même que celui des sites ouverts (Chen et al., 1999; Geiger et al., 2003). La forêt produit son propre climat du fait de sa masse et des éléments qui la composent. Ainsi, les composantes du bilan radiatif y sont particulières en ce sens que le rayonnement solaire direct est très réduit (Granberg et al., 1993; Carlson et Groot, 1997), bloqué par le masque de la végétation (Porté et al., 2004). La vitesse du vent y est également amoindrie (Grimmond et al., 2000) tandis qu’une part non négligeable des précipitations, captées par les feuilles et les branches, retourne dans l’atmosphère avant d’avoir atteint le sol (Lee, 1978; Xiao et al., 2000; Krämer et Hölscher, 2009; Pypker et al., 2011).

La température est fortement impactée par l’évapotranspiration qui refroidit l’air : l’énergie exigée du milieu ambiant pour évaporer 1 mm d’eau par ha est de 5,4 Mcal. Or les pertes en eau par évapotranspiration lors des journées chaudes d’été pouvant approcher 10 mm, le coût énergétique de l’évapotranspiration imposé aux forêts de grande extension est colossal. Tout cela entraîne des baisses de température d’autant plus sensibles que l’évapotranspiration est élevée et que les espaces sylvestres sont vastes. Inversement, le refroidissement nocturne est limité par l’humidité relative élevée et le rayonnement en grande longueur d’onde émis par la végétation. Les températures journalières sont ainsi pondérées par la biomasse qui minore les maximums et relève les minimums quotidiens (Aussenac, 1975; Grimmond et al., 2000; Potter et al., 2001; Geiger et al., 2003; Porté et al., 2004).

La plupart des études sur cette question portent sur la comparaison d’un ou plusieurs éléments du climat observés en une ou en quelques stations pour mettre en évidence des variations microclimatiques ponctuelles en relation avec la topographie et l’altitude (Friedland et al., 2003), l’influence des types de forêt (Porté et al., 2004) ou les écarts entre forêt et hors forêt (Blennow, 1998; Drezner et Weckerly, 2004). Les études de Renaud et Rebetez (2009) et de Renaud (2010) sont originales en ce sens qu’elles portent sur un réseau composé de 14 sites distribués sur l’ensemble de la Suisse et échantillonnant différents types de forêt.

L’étude qui est envisagée ici relève d’une démarche analogue. Inscrite dans une réflexion qui vise à mieux connaître le climat de la forêt du Parc Naturel Régional du Haut-Jura (PNR-HJ), elle répond à la question de l’indépendance plus ou moins élevée des températures en forêt par rapport à celles des sites ouverts situés à proximité. Il s’agit d’analyser de manière systématique, sur un espace d’échelle régionale, les écarts entre la température mesurée par un réseau spécifique de 14 stations sous couvert forestier (SCF) et celle qui est mesurée par le réseau Météo-France (MF), hors forêt. Nous abordons ce problème en examinant d’abord les températures journalières d’été et d’hiver relevées en trois stations du val d’Arlier, cuvette synclinale qui s’étend du sud-ouest au nord-est, entre Frasne et Pontarlier. Ensuite, nous montrons les dynamiques thermiques (écarts de température, gradients thermiques altitudinaux) à l’échelle du massif.

1. Aire d’étude, données et méthode

L’aire d’étude, centrée sur le PNR-HJ, mord sur le premier plateau du Jura (figure 1). Les altitudes, qui s’élèvent par palier, sont comprises entre 350 m (premier plateau) et 1720 m (Crêt de la Neige). De profondes vallées entaillent les plateaux et la montagne (avec du nord au sud : l’Ain, la Bienne et la Valserine). Le taux de recouvrement forestier, supérieur à 60%, est tout autant guidé par la topographie que par l’altitude, les vals défrichés s’opposant aux monts boisés. Dans sa composition, la forêt offre les formations typiques de la France de l’Est réparties en trois étages principaux : l’étage collinéen jusqu’à 600 m (chênaie-hêtraie-charmaie), l’étage montagnard inférieur sur le second plateau (hêtraie-sapinière) et l’étage montagnard à partir de 900 m où les résineux dominent (sapin, épicéa). Notons en outre que le sapin a localement été planté jusqu’en plaine sur certaines parcelles abandonnées par l’agriculture.

thumbnail Figure 1

Aire d’étude. Study area.

thumbnail Figure 2

Statistiques descriptives des températures minimales (tn) et maximales (tx) à Pontarlier-MF et aux deux stations SCF en juillet et décembre. Descriptive statistics applied to minimum (tn) and maximum (tx) July and December temperature for Pontarlier open-site (MF) and two stations below-canopy (fir=sapinière and beech-fir=hêtraie-sapinière).

thumbnail Figure 3

Températures minimales et maximales de juillet et décembre 2011 à Pontarlier-MF et aux deux stations SCF qui l’encadrent de part et d’autre du val d’Arlier; ensoleillement à Besançon. Minimum and maximum temperature in July and December 2011 for Pontarlier open-site (Pont-MF) and two stations below-canopy (fir=Pont-SCF-résin. and beech-fir= Pont-SCF-HS) that frames the val d’Arlier on both sides; duration of sunshine in Besançon (60 km away).

thumbnail Figure 4

Graphe des températures minimales de juillet (2011-2012-2013) et décembre (2011-2012) à Pontarlier-MF et Pontarlier SCF (S=sapinière; HS=hêtraie-sapinière). Scatterplot of minimum temperature in July (2011-2012-2013) and December (2011-2012) for Pontarlier open-site (MF) and two stations below-canopy (fir=S and beech-fir=HS).

thumbnail Figure 5

Graphe des températures maximales de juillet (2011-2012-2013) et décembre (2011-2012) à Pontarlier-MF et Pontarlier SCF (sapinière et hêtraie-sapinière). Scatterplot of maximum temperature in July (2011-2012-2013) and December (2011-2012) for Pontarlier open-site (MF) and two stations below-canopy (fir=S and beech-fir=HS).

thumbnail Figure 6

Moyenne des températures minimales et maximales mensuelles (2011 à 2013) sur l’ensemble des réseaux MF (14 stations) et SCF (15 stations); écarts moyens entre les couples de stations SCF et MF. Top: average monthly minimum (tn) and maximum (tx) temperature (2011 to 2013) for the two networks: 14 open-site stations (MF) and 15 below-canopy stations (SCF); down: average deviations between these and open site stations.

thumbnail Figure 7

Ecarts de température (Tn et Tx de juillet 2011 à 2013) pour 3 formations forestières. Temperature deviations (Tn and Tx from July 2011 to July 2013) for 3 forest formations (fir = sapinière, fir-beech = hêtraie-sapinière, deciduous = feuillus).

thumbnail Figure 8

Ecarts de température (minimales et maximales de décembre 2011 et 2012) pour 3 formations forestières. Temperature deviations (Tn and Tx from December 2011 to December 2012) for 3 forest formations (fir = sapinière, fir-beech = hêtraie-sapinière, deciduous = feuillus).

1.1. Données de température

L’aire d’étude (figure 1) comporte 29 stations localisées sous couvert forestier (SCF). Quinze d’entre elles ont été localisés à proximité des quatorze postes de Météo-France (la station MF de Pontarlier sert d’appui à deux stations SCF), si possible dans des sites sinon identiques, du moins comparables, afin que l’interprétation des résultats ne soit pas entachée des influences multiples liées à des différences locales d’altitude ou de topographie. En moyenne, l’écart en altitude (25 m) et en distance (1,3 km) entre chaque couple de stations est faible.

La température SCF est mesurée toutes les 6 minutes grâce à des capteurs autonomes de type « HOBO PRO V2 » installés à l’intérieur de boitiers protecteurs (Photo 9). Chaque appareil est fixé contre un arbre à 1,5 m du sol et en exposition nord, à l’ombre du tronc, ce qui évite les effets du rayonnement direct (Kollas et al., 2013).

thumbnail Photo 9

Capteur de Cerniébaud. A logger below-canopy.

Compte tenu de l’autonomie des appareils SCF, trois collectes par an sont nécessaires afin de toujours rester en deçà de la saturation des mémoires et de vérifier le bon fonctionnement du dispositif. La chronique s’étale du 1er mai 2011 (premier mois complet disponible, les appareils ayant été installés courant avril 2011) au 31 octobre 2013 (dernier mois disponible pour cette étude).

La base de données présente des lacunes de quelques mois pour seulement deux appareils vandalisés puis réinstallés un peu plus tard et un appareil qu’il n’a pas été possible d’atteindre en avril 2012 en raison de l’enneigement. Enfin, trois mois consécutifs (février à avril 2012) manquent suite à un problème technique ayant touché tous les appareils (mémoire saturée dès le début du mois de février).

Au total, nous disposons de 25 mois complets représentant 825 jours d’observation. Certains mois sont lacunaires (1 mois pour février et mars) tandis que d’autres sont complets (3 mois pour juin à septembre). Un premier filtre a permis d’extraire le minimum et le maximum journalier des données SCF. Ensuite, un appariement entre les Tn et Tx journalières issues des stations de Météo-France et celles des stations sous forêt a été effectué pour que la comparaison porte exactement sur la même chronique.

1.2. Altitude et occupation du sol

Les deux variables spatiales utilisées, projetées dans le référentiel RGF 1993 Lambert 93, sont :

  • l’altitude nécessaire au calcul des gradients thermiques, donnée par le modèle numérique de terrain (MNT) de l’IGN à 50 m de résolution;

  • Corine land Cover (CLC 2006) qui a permis de calculer la distance de chaque station MF et de chaque station SCF à la lisière la plus proche.

En outre, la nature de la formation forestière où chaque capteur est installé est définie selon trois modalités : sapinière, hêtraie-sapinière et feuillus.

1.3. Méthode

Les écarts de températures entre les deux milieux et les trois formations végétales sont mesurés grâce à des calculs de moyenne et de différence. Ensuite, des corrélations linéaires simples mettent en évidence la valeur des gradients altitudinaux de température sous forêt et en espace ouvert.

2. Résultats

Compte tenu des lacunes dans la base de données, certains mois, janvier à mars par exemple, comportent un nombre réduit de mesures. Aussi, n’a-t-il pas été possible de présenter des résultats systématiques portant sur l’année entière. Ces derniers concernent surtout deux mois caractéristiques de l’été et de l’hiver : juillet, mois le plus chaud de l’année, et décembre (janvier, le mois le plus froid, comportait un nombre trop réduit d’observations).

2.1. Températures dans le val d’Arlier

Les deux stations SCF du val d’Arlier (figure 1) sont distantes de 2 et 4 km de la station MF située en position intermédiaire et sont localisées, l’une en adret du val (hêtraie sapinière), l’autre en ubac (sapinière). La sapinière est plus densément peuplée (environ 150 tiges/ha qui couvrent 100% de la voûte céleste) que la hêtraie sapinière (un peu moins de 100 tiges couvrant 80% du ciel). L’écart d’altitude entre la station MF située en fond de val (830 m) et les deux stations SCF, est voisin de 50 m, ces deux dernières étant à la même altitude à 10 m près.

2.1.1. Minimums et maximums quotidiens de juillet et décembre 2011

La figure 2 représente les valeurs de statistique descriptive des minimums et des maximums en hiver et en été. En moyenne, la température est plus élevée sous sapinière qu’en espace ouvert en une seule circonstance : lors des minimums de juillet (+0,8°C). Dans tous les autres cas, la température relevée par Météo-France est la plus élevée. La température moyenne sous hêtraie sapinière est intermédiaire. En décembre, les écarts entre le premier et le troisième quartile sont plus faibles le matin (3 à 4°C) que l’après-midi (5 à 6°C) en milieu ouvert et sous couvert forestier alors que l’écart est de 0,5°C entre la sapinière et la hêtraie-sapinière.

L’écart moyen des minimales de juillet entre la station MF de Pontarlier et les stations SCF est de 1,9°C pour la sapinière et de 1,6°C pour la hêtraie-sapinière. On trouve, du plus froid au plus doux : la station MF (espace ouvert), la station hêtraie-sapinière et la station sapinière (figure 3). Dans le détail, le temps qu’il fait (Joly, 2004) influe sur les écarts de température entre les deux milieux (Blennow, 1998; Geiger et al., 2003) : les températures SCF sont supérieures de 3 à 4°C, parfois 7°C, à celle des espaces ouverts au cours de journées sans nuage comme celles du 1er au 6 juillet. En revanche, les écarts sont faibles (1 à 2°C) lorsque la nébulosité, accompagnée ou non de pluie, est forte (exemple de la période du 18 au 24 juillet). Ces valeurs peuvent être rapprochées de celles de Renaud et Rebetez (2009) qui font état, au moins pour ce qui concerne les quatre stations suisses du Jura, d’écarts compris entre -0,14 et 1,7°C en moyenne estivale (en 2003). Groot et Carlson (1996) mentionnent des valeurs voisines en Ontario, au Canada.

Les maximales SCF sont assez bien synchronisées avec celles de la station MF. Les températures maximales SCF sont plus faibles qu’en espace ouvert (en moyenne de 3,2°C pour la sapinière et de 2°C pour la hêtraie-sapinière). Les stations suisses du Jura présentent des écarts un peu supérieurs compris entre -4,8 et -3,5°C (Renaud et Rebetez, 2009) tandis que Porté et al. (2004) rapportent, pour des peuplements de pins sur le Ventoux, des valeurs beaucoup plus faibles, de 1°C ou moins.

Du plus frais au plus chaud, la hiérarchie des minimums s’inverse par rapport aux maximums et s’établit comme suit : la station SCF sapinière, la station SCF hêtraie-sapinière puis la station MF. L’écart moyen entre les deux stations SCF est de 1,2°C. L’amplitude moyenne journalière, de 11,9°C en espace ouvert, chute à 8,3°C dans la hêtraie-sapinière et à 6,8°C dans la sapinière.

En décembre, les écarts sont beaucoup plus faibles qu’en juillet. Hormis quelques jours de beau temps (entre le 25 et le 28 décembre) au cours desquels les minimums présentent des écarts un peu plus élevés (3 à 6°C plus froid en espace ouvert), la différence entre les trois stations est faible (figure 3). A plusieurs reprises, la station MF présente des températures supérieures à ses homologues SCF. La persistance, plusieurs jours consécutifs, d’air froid accumulé dans les milieux sylvestres pourrait expliquer ce phénomène. In fine, la moyenne des températures minimales en espace ouvert (-0,5°C) est plus élevée que celles de la sapinière (-1°C). Les écarts des maximums sont plus forts, avoisinant 2°C dans la sapinière et 1°C dans la hêtraie-sapinière. La hiérarchie des stations retrouve celle des maximums de juillet.

2.1.2. Minimums et maximums quotidiens de juillet (2011-2012-2013)

La figure 4 et le tableau 1 montrent, qu’en juillet, la relation entre les minimales des deux couples de stations n’est pas de très bonne qualité. La pente de la droite d’ajustement précise que, pour 1 degré de variation à Pontarlier-MF, la température minimale de juillet ne varie que de 0,65°C sous couvert forestier en ubac et 0,7°C dans la hêtraie-sapinière : la forêt, milieu confiné, amortit l’ampleur des variations de la température d’un jour à l’autre. En décembre, la variation des minimales journalières sous couvert forestier et en espace ouvert est synchrone (r² > 0,8), même si les températures, plus élevées en milieu forestier, ne s’abaissent pas en dessous de -10°C alors que le minimum à Pontarlier MF est de -17°C.

Tableau 1

Valeur de r et coefficient de régression entre les températures de chacune des deux stations SCF (S=sapinière, HS=hêtraie sapinière) et celles de la station de Pontarlier-MF en juillet et décembre; ** p< 0,01.

Les températures maximales (figure 5 et tableau 1) révèlent une valeur de r élevée, même en juillet, significatif d’une meilleure corrélation que le matin. Les maximums sous couvert forestier varient au rythme de 0,84 à 0,85°C pour 1°C en espace ouvert. La turbulence induite par le vent, plus fort le jour que la nuit et favorisant les échanges d’air entre les deux milieux, explique sans doute cette différence (Aussenac, 1975; Childs et Flint, 1997; Porté et al., 2004).

Selon le test de Wilcoxon les écarts entre les températures relevées sous couvert forestier et en espace ouvert sont significatifs au seuil de 1% (p<0,01) en juillet (maximales et minimales) et en décembre pour les maximales (tableau 2). En revanche, les écarts des minimales de décembre entre la station hêtraie-sapinière et la station MF (0,2°C en moyenne) ne sont pas significatifs, même au seuil de 10%.

Tableau 2

cart moyen (en °C) entre chacune des deux stations SCF et la station de Pontarlier-MF; significativité du test de Wilcoxon au seuil de *p < 0,05 et **p< 0,01.

2.2. Température sur l’ensemble du réseau

Nous abordons à présent la variation mensuelle des températures à l’échelle du massif grâce aux données collectées de 2011 à 2013 dans les quatorze stations disposées sur l’ensemble de la zone.

2.2.1. Moyennes mensuelles

Les moyennes mensuelles (figure 6) donnent lieu aux mêmes constats que dans le val d’Arlier. Les températures minimales SCF sont un peu plus élevées qu’en espace ouvert (+0,7°C) tandis que les maximales y sont beaucoup plus basses (-2,2°C), ce qui rejoint les observations de Carlson et Groot (1997). Au cours de l’année, cet écart se maintient de manière assez régulière à l’exception de quelques mois (minimales de mars, juin et août), pour lesquels il est quasiment nul. Mais un fait général ressort : les écarts des minimales et des maximales sont plus faibles en hiver et au printemps qu’en été et en automne, de sorte qu’entre espaces ouvert et fermés, les amplitudes s’accroissent de l’hiver à l’été. De telles valeurs sont à rapprocher de celles données par Kollas et al. (2013) où les écarts sont compris entre +1°C (saison végétative) et +2°C (hiver) dans les Alpes valaisannes et bernoises.

2.2.2. Influence des formations forestières sur la température

L’examen comparatif des températures dans la hêtraie-sapinière et la sapinière du val d’Arlier a montré des écarts significatifs de température entre les deux formations. Le problème est que ces écarts peuvent provenir de multiples facteurs. L’altitude y a joué un rôle mineur, les deux stations étant situées au même niveau. De même, la pente y est comparable, tandis que l’exposition opposée entre sud et nord peut expliquer une partie des écarts observés. Mais c’est surtout à la composition et à la physionomie des deux formations que tiennent les différences : en ubac, nous avons une sapinière dense tandis qu’en adret, il s’agit d’une hêtraie-sapinière plus aérée.

Il est vraisemblable que des écarts aussi sensibles se reproduiront sur l’ensemble de l’aire d’étude en lien avec les trois formations présentes sur celle-ci : sapinière, hêtraie-sapinière et feuillus. On peut attendre que les facteurs topographiques jouent sur les variations de température comme ce fut le cas dans le val d’Arlier, mais avec un moindre effet car, ici, la plupart des capteurs SCF sont implantés dans des contextes topographiques plans, analogues à ceux des stations MF voisines. Aussi gage-t-on que l’ampleur des influences topographiques sera faible comparativement à celles induites par la végétation. Chacune des trois formations est représentée par cinq sites. Cette analyse est fondée sur l’écart moyen entre les températures minimales et maximales des espaces ouverts et des trois formations mesurées au cours des mois de juillet (2011-2012-2013) et de décembre (2011-2012).

Les minimales sont toujours plus élevées dans les sapinières que dans les deux autres formations (tableau 3) où l’écart de température avec les espaces ouverts est faible : inférieur à 0,4°C en juillet et à 0,2°C en décembre, ce qui est en accord avec les observations de Renaud et Rebetez (2009). Lors des maximums, les écarts de température sont analogues au sein des trois formations en décembre (-1,3°C) mais très élevés en juillet sous feuillus (-3,6°C) et plus faibles en hêtraie-sapinière (-2,1°C). Ils sont toutefois deux fois plus élevés en juillet qu’en décembre.

Tableau 3

cart moyen de température (°C) entre les stations MF et les stations SCF classées selon trois formations; moyenne de juillet et décembre.

La figure 7 présente les écarts moyens des températures entre espaces ouverts et chacune des trois formations au cours des 31 jours de juillet (2011, 2012 et 2013). On retrouve les mêmes tendances que ci-dessus, notamment en début de matinée, avec un écart positif des sapinières et des valeurs beaucoup plus faibles pour les deux autres formations. Les feuillus présentent même, à de nombreuses reprises, des écarts négatifs, la température SCF étant plus basse qu’en espace ouvert (c’est la raison pour laquelle l’écart moyen est nul).

Cette singularité, qui s’explique par l’inertie élevée des températures dans la forêt, se produit après une forte hausse des températures en espace ouvert. Cette dernière ne se traduit pas, en forêt, par un mouvement de même ampleur car l’air frais de la veille a partiellement persisté, de sorte que la température en forêt reste plus basse qu’en espace ouvert. Ce phénomène, appelé hystérésis « propriété d’un système qui tend à demeurer dans un certain état quand la cause extérieure qui a produit le changement d’état a cessé » (Wikipédia, consulté le 7 janvier 2014), s’applique parfaitement à la température sous forêt. En milieu d’après-midi, les écarts sont négatifs car il fait plus chaud dans la forêt. L’ordre des stations est différent : il fait frais dans la forêt de feuillus et plus chaud dans les sapinières. Les écarts sont assez homogènes tout au long de la chronique à l’exception de trois pics (13 et 18 juillet 2011; 1 juillet 2012) où les valeurs, positives, indiquent que les températures SCF ont été plus élevées qu’en milieu ouvert. Cela s’explique par le même phénomène d’hystérésis que précédemment mais celui-ci joue de manière inverse : ces biais positifs se produisent après une forte baisse des températures en espace ouvert de sorte l’air chaud, accumulé la veille en forêt a partiellement persisté et la température y est elle plus élevée qu’en espace ouvert.

La figure 8 confirme qu’en décembre, les écarts entre les milieux sont plus réduits qu’en été, surtout en début de journée dans les hêtraies-sapinières et les formations de feuillus. On constate ici aussi les forts écarts sporadiques liés à l’hystérésis déjà mentionnée.

2.3. Gradient thermique altitudinal en forêt et en espace ouvert

La baisse de la température en fonction de l’altitude explique en grande partie l’étagement de la végétation évoqué en introduction. Elle est due à la baisse de pression atmosphérique en fonction de l’altitude que modère la libération de la chaleur latente lors de la condensation de la vapeur d’eau. Ce processus peut, temporairement, lors de certaines situations synoptiques, être remplacé par celui de l’inversion thermique qui entraîne une hausse des températures avec l’altitude.

La question que nous nous sommes posée est de savoir si ce gradient est le même en espace ouvert que sous forêt. Nous avons calculé le gradient altitudinal par régression linéaire simple où les températures quotidiennes correspondent à la variable expliquée et où l’altitude est la variable explicative : le gradient altitudinal (pente de la régression) correspond au coefficient de régression qui quantifie la variation moyenne de la température pour une augmentation d’une unité de l’altitude.

Le gradient altitudinal est un peu plus faible lors des minimums (-0,47°C/100 m) que lors des maximums (-0,58°C/100 m), ce qui est tout-à-fait conforme aux gradients alpins (Rolland, 2003; Kollas et al., 2013) mais à peine plus élevés que ceux observés par Dumas et Atunes (2003) et Dumas et Rome (2008) dans les Alpes du Nord où les gradients annuels (1960-2005) moyens des températures minimales et maximales oscillent, respectivement entre 0,37 à 0,47°C/100 m et entre 0,44 à 0,58°C/100 m. Blandford et al. (2008) indiquent également des valeurs de gradients moins élevés pour les minimums (-0,35°C/100 m en hiver et près de 0°C/100 m en été) que pour les maximums (-0,45°C/100 m en hiver et -0,65°C/100 m en été). Ces gradients sont toutefois plus élevés que les valeurs rapportées par Friedland (2003) : -0,3 à -0,34°C/100 m selon les sites dans une forêt du Vermont, USA. La nature du milieu, ouvert ou boisé, n’apporte pratiquement aucune différence à ces valeurs.

Conclusion

Précisons d’emblée que les résultats présentés ici sont préliminaires à de plus vastes recherches. L’étude a porté sur deux mois presque exclusivement (juillet, représentatif de l’été et décembre, représentatif de l’hiver). De plus, la série d’observations est courte (2,5 ans) et présente beaucoup de lacunes (les données sur février et mars ne sont acquises que pour la seule année 2013). Aussi, les variations qui ont été mises en évidence (minimums SCF plus élevés de 1 à 2°C qu’en espace ouvert le matin, maximums SCF plus frais de 2 à 3°C qu’en espace ouvert l’après-midi, écarts entre espaces boisés et ouverts plus réduits en décembre qu’en juillet, inertie plus forte des températures sous les sapinières que sous les autres formations le matin) devront être confortées par le traitement de séries plus longues pour les raisons qui viennent d’être évoquées.

Plusieurs observations ont montré que l’ampleur des variations de température sous couvert est modérée du fait que la végétation est un obstacle efficace aux échanges d’air. Contrairement aux espaces ouverts où le vent, brassant efficacement les basses couches de l’atmosphère, en harmonise les caractéristiques, la forêt freine ces échanges. L’examen des stations implantées dans le val d’Arlier a montré que cet effet joue surtout en juillet lors des minimums qui, sous couvert forestier, sont assez indépendants de ceux de la station de Météo-France. Cet effet s’atténue lors des maximums de juillet car la turbulence thermique y est plus élevée l’après-midi que le matin; il s’atténue aussi avec les températures de décembre en raison d’une moindre énergie solaire qui empêche le réchauffement superficiel du sol.

Dans ce registre, il a également été montré que les formations arborées jouent un rôle non négligeable sur la différenciation spatiale des températures, les forêts de résineux engendrant une inertie thermique supérieure à celle qui prévaut dans les hêtraies-sapinières et sous feuillus lors des minimums d’été et d’hiver (l’air y est plus chaud que dans les deux autres formations). Lors des maximums d’été, les écarts avec les espaces ouverts sont les plus importants dans les forêts de feuillus où la température est plus fraîche de 4°C, contre respectivement 3°C et 2°C dans les sapinières et les hêtraies-sapinières. Cette question de l’indépendance relative des espaces forestiers par rapport aux espaces ouverts avoisinant pose le problème de la zone tampon qui fait transition entre les deux milieux (Raynor, 1971; Chen et al., 1995). En effet, à proximité d’une lisière, l’air issu des espaces ouverts et forestiers peut se mélanger. Toute la question est de connaître l’ampleur de cette frange d’interpénétration entre milieux adjacents. Comment et selon quel gradient se fait la transition de part et d’autre de la lisière est difficile à établir car le dispositif de mesure dont nous disposons, composé d’un trop faible nombre de stations, ne permet pas de préciser cette question. Pour ce faire, il conviendrait de prévoir un transect de capteurs perpendiculaire à la lisière. On peut toutefois postuler que le gradient en question n’est pas linéaire et qu’il s’amortit de part et d’autre à mesure que l’on s’éloigne de la lisière, cette influence devenant nulle à partir d’une certaine distance.

Au terme de ces premiers résultats, il est confirmé que forêt et espaces ouverts ont des caractéristiques thermiques différenciées. Les écarts constatés sont sans doute expliqués par les conditions radiatives et advectives propres à chaque milieu. Cette relation causale mériterait d’être vérifiée par des données appropriées. A ce titre, la densité des arbres au voisinage des capteurs dont on sait qu’elle a une influence sur le rayonnement qui atteint le sol serait à considérer (Renaud et Rebetez, 2009).

Par ailleurs, le recueil des données ne s’est pas arrêté le 31 octobre 2013; et, depuis lors, la base de données s’enrichit progressivement de nouvelles mesures qui rendront nos analyses ultérieures plus robustes. Il est aussi prévu d’étendre le réseau d’abord spatialement, par l’ajout de capteurs de température en direction de l’est et du nord afin de mieux couvrir l’arc jurassien, et par un zoom local sur un transect perpendiculaire à une lisière; puis, thématiquement, par l’adjonction d’autres types de capteurs pour mesurer l’humidité relative, le volume des précipitations, la force du vent et le rayonnement.

A terme, c’est à une véritable approche climatologique des espaces forestiers que nous tendons; climatologie reposant sur des données recueillies en un réseau autonome de capteurs, les uns disposés à proximité des stations de Météo-France afin d’analyser les écarts entre milieux ouverts et fermés, les autres localisés dans les espaces vides de stations météorologiques officielles et qui présentent des caractéristiques topographiques singulières (pentes vigoureuses ou fond de vallée par exemple où de puissantes et fréquentes inversions thermiques ont été constatées, observations non présentées ici). L’objectif est de pouvoir procéder à des analyses du climat sous couvert forestier analogues à celles qui sont aujourd’hui conduites dans les seuls espaces ouverts.

Remerciements

Remerciements : à Météo-France pour la gratuité des données; au Parc Naturel Régional du Haut-Jura et à la Région de Franche-Comté qui, dans le cadre du programme LEADER « Haut-Jura : l’énergie du territoire » ont en grande partie financé cette étude; à la Zone Atelier de l’Arc Jurassien (http://zaaj.univ-fcomte.fr) pour l’achat d’une partie des capteurs; aux maires des communes et aux propriétaires privés qui nous ont permis d’installer les capteurs dans la parcelle de forêt qu’ils possèdent.

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Liste des tableaux

Tableau 1

Valeur de r et coefficient de régression entre les températures de chacune des deux stations SCF (S=sapinière, HS=hêtraie sapinière) et celles de la station de Pontarlier-MF en juillet et décembre; ** p< 0,01.

Tableau 2

cart moyen (en °C) entre chacune des deux stations SCF et la station de Pontarlier-MF; significativité du test de Wilcoxon au seuil de *p < 0,05 et **p< 0,01.

Tableau 3

cart moyen de température (°C) entre les stations MF et les stations SCF classées selon trois formations; moyenne de juillet et décembre.

Liste des figures

thumbnail Figure 1

Aire d’étude. Study area.

Dans le texte
thumbnail Figure 2

Statistiques descriptives des températures minimales (tn) et maximales (tx) à Pontarlier-MF et aux deux stations SCF en juillet et décembre. Descriptive statistics applied to minimum (tn) and maximum (tx) July and December temperature for Pontarlier open-site (MF) and two stations below-canopy (fir=sapinière and beech-fir=hêtraie-sapinière).

Dans le texte
thumbnail Figure 3

Températures minimales et maximales de juillet et décembre 2011 à Pontarlier-MF et aux deux stations SCF qui l’encadrent de part et d’autre du val d’Arlier; ensoleillement à Besançon. Minimum and maximum temperature in July and December 2011 for Pontarlier open-site (Pont-MF) and two stations below-canopy (fir=Pont-SCF-résin. and beech-fir= Pont-SCF-HS) that frames the val d’Arlier on both sides; duration of sunshine in Besançon (60 km away).

Dans le texte
thumbnail Figure 4

Graphe des températures minimales de juillet (2011-2012-2013) et décembre (2011-2012) à Pontarlier-MF et Pontarlier SCF (S=sapinière; HS=hêtraie-sapinière). Scatterplot of minimum temperature in July (2011-2012-2013) and December (2011-2012) for Pontarlier open-site (MF) and two stations below-canopy (fir=S and beech-fir=HS).

Dans le texte
thumbnail Figure 5

Graphe des températures maximales de juillet (2011-2012-2013) et décembre (2011-2012) à Pontarlier-MF et Pontarlier SCF (sapinière et hêtraie-sapinière). Scatterplot of maximum temperature in July (2011-2012-2013) and December (2011-2012) for Pontarlier open-site (MF) and two stations below-canopy (fir=S and beech-fir=HS).

Dans le texte
thumbnail Figure 6

Moyenne des températures minimales et maximales mensuelles (2011 à 2013) sur l’ensemble des réseaux MF (14 stations) et SCF (15 stations); écarts moyens entre les couples de stations SCF et MF. Top: average monthly minimum (tn) and maximum (tx) temperature (2011 to 2013) for the two networks: 14 open-site stations (MF) and 15 below-canopy stations (SCF); down: average deviations between these and open site stations.

Dans le texte
thumbnail Figure 7

Ecarts de température (Tn et Tx de juillet 2011 à 2013) pour 3 formations forestières. Temperature deviations (Tn and Tx from July 2011 to July 2013) for 3 forest formations (fir = sapinière, fir-beech = hêtraie-sapinière, deciduous = feuillus).

Dans le texte
thumbnail Figure 8

Ecarts de température (minimales et maximales de décembre 2011 et 2012) pour 3 formations forestières. Temperature deviations (Tn and Tx from December 2011 to December 2012) for 3 forest formations (fir = sapinière, fir-beech = hêtraie-sapinière, deciduous = feuillus).

Dans le texte
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Capteur de Cerniébaud. A logger below-canopy.

Dans le texte

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