Open Access
Issue
Climatologie
Volume 21, 2023
Article Number 3
Number of page(s) 10
DOI https://doi.org/10.1051/climat/202321003
Published online 24 January 2024

Introduction

La fonte de l’inlandsis Antarctique est une des nombreuses conséquences des changements climatiques. Entre 1994 et 2017, environ 1% du déséquilibre énergétique planétaire a été absorbé par l’ensemble de l’inlandsis Antarctique (Slater et al., 2022). Ce seul pourcent a entraîné une élévation directe du niveau marin de 7,6 mm (IMBIE Team, 2018) alors que les dernières observations semblent indiquer une accélération des pertes de glace (Otosaka et al., 2023).

Les pertes récentes de masse sont causées par une augmentation du flux de glace allant du continent vers l’océan en Antarctique de l’Ouest et en Péninsule Antarctique (IMBIE Team, 2018; Rignot et al., 2019). Cette augmentation du flux s’explique par la fonte des plateformes de glace autour de l’Antarctique qui est provoquée par des advections d’eau chaude plus fortes sous ces plateformes (Paolo et al., 2018). Ces plateformes retiennent la glace sur le continent par effet d’arc-boutant de la même façon que ce genre d’arc soutient un mur en maçonnerie. La fonte progressive des plateformes de glace autour de l’Antarctique réduit ainsi leur capacité à maintenir la glace sur le continent, celle-ci pouvant davantage fluer dans l’océan contribuant à élever le niveau marin.

L’ensemble des projections en Antarctique suggère une augmentation de la fonte basale des plateformes dans le futur à cause du réchauffement de l’océan (Seroussi et al., 2020). Néanmoins, il n’est pas encore certain que l’Antarctique perdra de la masse d’ici 2100. En effet, bien qu’il perdra davantage de masse, on s’attend aussi à ce qu’il en gagne davantage en surface. Puisque l’air sera plus chaud, il pourra aussi contenir plus d’humidité, ce qui à terme augmentera les chutes de neige et donc, l’accumulation de masse en surface de l’inlandsis (Palerme et al., 2017). Selon les différents projections et scénarios climatiques, l’augmentation des précipitations neigeuses pourraient compenser l’augmentation de fonte due à l’océan (Edwards et al., 2021).

L’incertitude sur l’effet prédominant des augmentations de l’accumulation et de l’ablation d’ici 2100 reste importante. Il est certain que la fonte et les précipitations augmenteront d’ici 2100. Cependant, il est difficile de prévoir les changements exactes des composantes du bilan de masse de l’Antarctique notamment parce que les modèles de climat global ne représentent pas correctement les processus des milieux polaires, que ce soient ceux concernant les interactions entre l’océan et les cavités sous les plateformes (Jourdain et al., 2020) ou entre l’atmosphère et la surface de l’inlandsis (Lenaerts et al., 2019).

Puisque seule la fonte basale semble importante aujourd’hui, une moins grande importance a été mise sur les projections de bilan de masse en surface (BMS) de l’Antarctique (Seroussi et al., 2020). Alors que certaines études suggèrent d’ailleurs une potentielle augmentation générale due au réchauffement de l’atmosphère (ex., Medley et Thomas, 2019), d’autres indiquent une stabilité (ex., Monaghan et al., 2006) voire même une diminution (Kim et al., 2020; Mottram et al., 2020). Les raisons derrière ces changements récents de BMS restent peu comprises (Lenearts et al., 2019). Pourtant, le BMS a un effet direct sur les variations de niveau marin en déterminant la quantité de masse qui peut s’accumuler à la surface du continent (potentiel seul contributeur terrestre négatif à la hausse du niveau marin d’ici 2100) et un effet indirect sur la dynamique glaciaire en modifiant l’épaisseur des plateformes et de l’inlandsis continental.

Dans un contexte de changements climatiques, l’objectif de cette thèse est de mieux projeter l’évolution du BMS afin de réduire les incertitudes sur l’évolution du bilan de masse de l’Antarctique et étudier les processus qui entraînent des différences dans les projections d’ici 2100.

1. Méthode

Le bilan de masse en surface (soit la différence entre l’accumulation de masse sous forme de précipitations solides et liquides ou de déposition, et l’ablation sous forme de sublimation, d’érosion par le vent et de ruissellement d’eau de fonte) peut être calculé à partir de modèles climatiques spécialement développés pour les régions polaires.

En particulier, le Modèle Atmosphérique Régional (MAR) est souvent utilisé pour simuler les climats des inlandsis antarctiques (ex., Agosta et al., 2019) et groenlandais (ex., Fettweis et al., 2017). Ce modèle est basé sur l’approximation hydrostatique et résout des équations de conservations de cinq hydrométéores (neige, cristaux de glace, pluie, gouttelettes d’eau, humidité spécifique) ainsi que le nombre de cristaux de glace dans l’atmosphère (Gallée, 1995; Massager et al., 2004). Grâce à son schéma de surface, MAR peut représenter les interactions entre l’atmosphère et la surface. Une grande attention a été accordée à la modélisation des propriétés de la neige et de la glace (albédo, température, contenu en eau liquide, épaisseur des couches,...). Les lecteurs souhaitant en savoir davantage à propos du modèle MAR peuvent consulter Kittel (2021) où une description détaillée du modèle est présentée, ainsi qu’une évaluation complète du climat simulé en Antarctique. Les résultats présentés ci-dessous utilisent la version 3.11 du modèle MAR, à une résolution de 35 km. Cette résolution est plus haute que la plupart des simulations globales mais conserve un temps raisonnable de calcul pour effectuer des projections à l’horizon 2100.

MAR est un modèle régional, c’est-à-dire qu’il doit être forcé à ses frontières par des champs à grande échelle (réanalyses ou modèles de climat global). Toutes les 6 h, on prescrit à ses frontières atmosphériques latérales la pression, le vent, l’humidité spécifique et la température, à la surface de l’océan la température de l’océan et la concentration en glace de mer et enfin au sommet de l’atmosphère la température et le vent.

Afin de projeter le climat en Antarctique d’ici 2100, les modèles suivants ont été choisis comme forçage aux frontières de MAR : ACCESS1.3, NorESM1-M qui sont deux modèles issus de CMIP5 (5ème phase du Coupled Model Intercomparison Project) et CNRM-CM6-1, CESM2 qui sont issus de la phase 6 (CMIP6). Ce choix a été guidé d’une part par la disponibilité des forçages pour MAR et leur représentation correcte du climat autour de l’Antarctique tout en permettant une diversification des réchauffements dans le cadre des scénarios d’émission RCP8.5 pour CMIP5 et SSP585 pour CMIP6. Une comparaison des simulations MAR forcés par ces modèles sur le climat présent avec une simulation MAR de référence est disponible dans Kittel et al. (2021) et montrent que ces simulations représentent très bien le climat actuel de l’Antarctique ainsi que son BMS.

2. Résultats

Nos projections du BMS en Antarctique suggèrent une augmentation d’ici la fin de la fin du 21ème siècle. Les simulations MAR projettent une augmentation totale (continent et plateformes inclus) de +257 Gt an−1 pour MAR (CNRM-CM6-1) et +505 Gt yr−1 pour MAR (CESM2) entre 2071-2100 comparé à 1980-2010. Néanmoins, utiliser des valeurs intégrées sur tout l’Antarctique masque des trajectoires divergentes entre les plateformes et le reste du continent (figures 1 et 2).

thumbnail Figure 1

Changements de bilan de masse en surface (SMB) entre 2070-2100 (future) par rapport à 1981-2010 (present) pour a) MAR forcé par ACCESS1.3, b) NorESM1-M, c) CNRM-CM6-1, d) CESM2; unité : kg m−2 yr−1. Surface mass balance change between 2070-2100 compared to 1981-2010 as projected by MAR forced by a) ACCESS1.3, b) NorESM1-M, c) CNRM-CM6-1, d) CESM2 (kg m−2 yr−1).

thumbnail Figure 2

Changements de : a-b) bilan de masse en surface (SMB), c-d) précipitations neigeuses (SF), e-f) ruissellement de l’eau de fonte (RU), g-h) précipitations pluvieuses (RF) intégrés sur l’ensemble de la glace continentale (colonne de gauche, grounded) et les plateformes glaciaires (colonne de droite, ice shelves); unité : Gt yr−1. Surface mass balance (a-b), snowfall (c-d), runoff (e-f) and rainfall (g-h) anomaly (Gt-yr-1) over the grounded ice sheet (left) and ice shelves (right).

Le BMS sur le continent augmente dans toutes nos simulations (figure 2a) avec de premières différences vers 2040-2050. La tendance est dominée par une augmentation des précipitations sous forme de neige, notamment sur les marges du continent (figure 1) tandis que l’augmentation de BMS est plus faible sur le plateau en haute altitude. Au-delà de 2095, une seule simulation ne projette plus d’augmentation du BMS mais une tendance à la baisse car le ruissellement de l’eau de fonte en surface augmente plus fortement que l’accumulation (figure 2e).

A l’opposé sur les plateformes glaciaires, les projections montrent plus d’incertitudes entre un quasi équilibre et de fortes diminutions après 2075 allant jusqu’à des anomalies négatives sur pratiquement toutes les plateformes pour MAR (CNRM-CM6-1) avec une valeur de -335 Gt an−1 pour la période 2071-2100 (figure 1c).

L’augmentation des températures entraîne une augmentation de la fonte en surface, ce qui conduit à saturer le manteau neigeux. En conséquence, l’excès d’eau liquide provenant de la fonte ou des précipitations liquides ne peuvent plus être absorbées dans le névé et y regeler, mais finissent par ruisseler. De plus, comme les précipitations neigeuses n’augmentent pas beaucoup (une grande partie de l’augmentation des précipitations se fait sous forme liquide), le manteau neigeux n’est pas régénéré. Les changements du ruissellement en surface expliquent donc pratiquement entièrement les changements de BMS sur les plateformes (figure 1f), excepté dans MAR (NorESM-1) où le seul changement notable de BMS provient d’une modification des précipitations solides à cause d’un changement de circulation atmosphérique (non montré ici, voir Kittel et al., 2021).

Nos projections du BMS semblent ainsi montrer une grande dispersion que ce soit sur la partie continentale de l’inlandsis ou les plateformes. Cette diversion peut être attribuée aux différents réchauffements des modèles de forçage malgré l’utilisation de scénario d’émissions similaires (R2 = 0,91 et 0,89 respectivement sur la glace continentale et les plateformes) (figure 3).

thumbnail Figure 3

Changements de bilan de masse en surface (SMB, unité : Gt yr−1) sur la glace continentale (grounded, a) et les plateformes glaciaires (ice shelves, b) simulés par MAR par rapport au réchauffement de l’air proche de la surface entre 60°S et 90°S simulés par le modèle de climat global (°C). Surface mass balance change (Gtyr−1 ) over the grounded ice (a) and ice shelves (b) compared to the projected warming (°C) over 60°S and 90°S.

Comme les précipitations solides changent en suivant la loi de Clausius-Clapeyron, soit en approximant, une augmentation pratiquement linéaire sur la glace continentale, le BMS suit la même relation jusqu’à +7,5°C de réchauffement local autour de l’Antarctique (figure 3a). Au-delà de ce seuil, la fonte et le ruissellement en surface augmentent trop fortement et compensent l’augmentation des chutes de neige stoppant l’augmentation de BMS. Sur les plateformes, le BMS reste stable (voire en légère augmentation) jusqu’à un réchauffement de +2,5°C, puis diminue fortement (figure 3b) d’autant plus que le réchauffement augmente; +7,5°C semble également représenter un seuil où l’anomalie de BMS sera plus grande que le BMS actuel des plateformes.

Au-delà de cette température, les plateformes restantes s’affineront également directement par la surface en plus de leur fonte basale au contact de l’océan.

Sur base des relations entre changements de BMS et réchauffement autour de l’Antarctique obtenues à l’aide de nos quatre simulations, il est possible de reconstituer le BMS pour toutes les projections de CMIP6 (chaque modèle et scénario; figure 4). Les scénarios ssp126 et ssp245 projeteraient un BMS stable (augmentation modérée sur la glace continentale et un BMS à l’équilibre sur les plateformes) alors que le scénario ssp545 résulterait en des changements très marqués. En terme cumulatif, le BMS continental pourrait réduire de −3,0 ± 1,4 cm le niveau marin dans le cadre du scénario ssp126, −4,2 ± 1,6 cm pour le scénario ssp245 et −6,3 ± 2,0 cm pour le scénario ssp585 (notez cependant que les changements sur les plateformes glaciaires pourraient largement déstabiliser l’Antarctique et annuler cette contribution négative et ici calculée pour la surface seule). Plus les températures augmentent, plus les précipitations augmentent mais aussi la fonte et le ruissellement en surface.

thumbnail Figure 4

Changements de bilan de masse en surface (SMB, unité : Gt yr−1) sur la glace continentale (grounded, a) et les plateformes glaciaires (ice shelves, b) reconstruits sur base des réchauffement de l’air proche de la surface entre 60°S et 90°S simulés par les modèles de climat global et plusieurs scénarios d’émissions de gaz à effet de serre. Projected changes in surface mass balance over the grounded ice (a) and ice shelves (b) based on temperature changes between 60°S and 90°S for different global climate models and emission scenarios.

3. Discussion

Nos simulations MAR projettent une augmentation importante de la fonte sur les plateformes glaciaires, ce qui pourrait entraîner leur déstabilisation rapide. L’eau de surface s’infiltre dans le manteau neigeux et la glace, et crée des fractures verticales dans les plateformes. L’accumulation de ces fractures peut initier l’effondrement soudain (en quelques jours) des plateformes comme cela a été observé sur la plateforme Larsen B en 2002 (van den Broeke, 2005). Puisque la plateforme ayant disparu ne peut plus retenir la glace sur le continent, les glaciers de la Péninsule Antarctique se sont écoulés plus rapidement dans l’océan faisant ainsi augmenter le niveau marin (Scambos et al., 2014).

Bien que nos résultats aient montré qu’il était possible de déterminer la fonte sur base du réchauffement autour de l’Antarctique, ils suggèrent aussi de grandes incertitudes pour les réchauffements les plus forts (figure 5). Étant donné le rôle crucial des plateformes de glace dans le maintien de la stabilité de l’Antarctique, il est important de mieux comprendre les sources d’incertitudes dans les projections de la fonte de surface sur ces plateformes.

thumbnail Figure 5

Changements de fonte en surface (Melt, unité : Gt yr−1) intégrés sur toutes les plateformes de l’Antarctique (a), Antarctique de l’Est (b), Antarctique de l’Ouest (c), et la Péninsule Antarctique (d) simulés par MAR par rapport au réchauffement de l’air proche de la surface entre 60°S et 90°S simulés par le modèle de climat global (°C). Melt changes (Gtyr-1) over the Antarctic (a), East Antarctic (b), West Antarctic (c) and Antarctic Peninsula (d) ice shelves projected by MAR compared to the temperature warming (°C) over 60°S and 90°S.

La dispersion de la fonte projetée par nos simulations utilisant des scénarios d’émissions similaires est aussi large que la différence entre les estimations multi-modèles utilisant un scénario à basse et à haute émissions en 2100 (Trusel et al., 2015; Kittel et al., 2021). Comme le montre la figure 5, une partie des différences dans nos simulations provient de la sensibilité de réchauffement du modèle de forçage (Equilibrium Climate Sensitivity, ECS). Les projections basées sur des modèles avec des ECS plus bas (NorESM1-M, ECS de 2,8°C et ACCESS1.3, 3,55°C) suggèrent des taux de fontes plus faibles que les deux autres projections. Néanmoins, l’ECS ne suffit pas pour expliquer les différences car CNRM-CM6-1 a un ECS moins élevé que CESM2 (4,9°C vs 5,15°C). On constate que pour un même réchauffement, MAR (CNRM-CM6-1) a toujours tendance à projeter une plus grande augmentation de la fonte en surface que MAR (CESM2), en particulier en Antarctique de l’Ouest (figure 5).

L’analyse de chaque flux du bilan radiatif révèle que les différences de fonte proviennent de différences dans le rayonnement de grande longueur d’onde reçu à la surface. Puisque nos simulations utilisent les mêmes scénarios de gaz à effet de serre, seules la température de l’atmosphère, la quantité de vapeur d’eau, la nébulosité et les propriétés des nuages peuvent influencer le rayonnement reçu par la surface. Cependant, toutes nos simulations projettent la même augmentation de vapeur d’eau avec le réchauffement conformément à la loi de Clausius-Clapeyron tandis que les différences en couverture nuageuse restent minimes. En approximant l’atmosphère comme un corps noir, on peut démontrer que la température de l’atmosphère n’explique que 31% au maximum des différences en rayonnement de grande longueur d’onde (voir le matériel supplémentaire S3 de Kittel et al., 2022, pour plus de détails sur cette démonstration).

MAR projette une augmentation du contenu en particules des nuages et des changements dans la distribution des phases sur les plateformes de glace qui diffèrent entre les simulations, ce qui se traduit par des propriétés optiques des nuages différentes. En particulier, MAR (CNRM-CM6-1) simule une augmentation ~3 fois plus grande de contenu en eau liquide dans les nuages que MAR (CESM2) pour un même réchauffement en 2100 (+12 g m−2 vs +4 g m−2; figure 6), alors que l’augmentation en glace et neige est similaire (voir Kittel et al., 2022) au-dessus de l’Antarctique de l’Ouest. Les différentes augmentations de contenu en eau liquide dans les nuages expliquent les incertitudes dans l’augmentation de rayonnement de grande longueur d’onde reçu à la surface et par extension de fonte. Ceci est dû à la dépendance de l’émissivité des nuages au contenu en eau liquide (Stephens, 1984; Bennartz et al., 2013).

thumbnail Figure 6

Changements de contenu en eau liquide dans les nuages (LWP, unité : g m−2) moyennés sur toutes les plateformes de l’Antarctique (a), Antarctique de l’Est (b), Antarctique de l’Ouest (c), et la Péninsule Antarctique (d) simulés par MAR par rapport au réchauffement de l’air proche de la surface entre 60°S et 90°S simulés par le modèle de climat global (°C). Liquid Water Path changes (g m-2) over the Antarctic (a), East Antarctic (b), West Antarctic (c), and Antarctic Peninsula ice shelves projected by MAR compared to the temperature warming (°C) over 60°S and 90°S.

Enfin, ces différences dans les phases des nuages sont expliquées par les augmentations préférentielles soit en gouttelettes d’eau ou en particules de neige et de glace pour un même réchauffement. Sur la période 2071-2100, où MAR forcé par CESM2 et CNRM-CM6-1, simule une augmentation moyenne sur la verticale en température et humidité similaire, on constate des profils verticaux d’humidité différents entre ces deux simulations (figure 7a). CESM2 simule une plus forte augmentation d’humidité dans la haute atmosphère ce qui produit une plus grande augmentation des particules de neige et de glace dans MAR (CESM2) (figure 7b). A l’opposé, CNRM-CM6-1 projette une augmentation plus forte de l’humidité dans les basses couches de l’atmosphère ce qui crée dans MAR (CNRM-CM6-1) davantage de nuages composés de gouttelettes d’eau (figure 7c). Cette analyse met en évidence le rôle des nuages comme une source importante d’incertitudes de la stabilité de l’Antarctique d’ici 2100.

thumbnail Figure 7

Profils verticaux (unité : g kg−1) des changements entre 2071-2100 par rapport à 1971-2010 simulés par MAR en a) humidité spécifique, b) particule de neige et c) gouttelettes de pluie. Vertical profiles (g kg-1) in 2071-2100 compared to 1971-2010 projected by MAR for specific humidity (a), snow particule (b) and water droplets (c).

Conclusion

Le modèle MAR a été utilisé pour projeter l’évolution du bilan de masse en surface de l’Antarctique et analyser les sources d’incertitudes des projections sur les plateformes glaciaires en 2100. Des températures plus chaudes produiront une augmentation du BMS sur la partie continentale de l’inlandsis en conséquence d’une augmentation des chutes de neige. A l’inverse, le BMS diminuera sur les plateformes glaciaires car l’augmentation de fonte et de ruissellement sera plus importante que l’augmentation de l’accumulation neigeuse.

En première approche, il est possible de déterminer ces changements sur base du réchauffement de l’atmosphère autour de l’Antarctique. Cela permet de reconstituer les changements de BMS pour l’ensemble des modèles CMIP6 et plusieurs scénarios sur base des résultats des 4 projections MAR. Selon les différents scénarios, le BMS pourrait ainsi contribuer à faire descendre le niveau marin d’ici 2100 de -6,3 ±2,0 cm (ssp585), -4,2 ±1,6 cm (ssp245) et -3,0 ±1,4 cm (ssp126). Cela ne veut néanmoins pas dire que la contribution entière de l’Antarctique sera négative, puisqu’il faut également tenir compte de la dynamique de l’Antarctique et du rôle de l’océan qui pourrait bien compenser cette accumulation.

Néanmoins, cette approche simpliste ne prend pas en compte les grandes incertitudes associées à un même taux de réchauffement. Nos projections montrent des différences d’un facteur 1,2 en termes de fonte cumulée sur les plateformes glaciaires pour un même taux de réchauffement, et même 1,5 en Antarctique de l’Ouest. Comme la fonte en surface peut provoquer la désintégration rapide des plateformes glaciaires et les déstabiliser, ces différences pourraient entraîner de grandes incertitudes sur les projections de masse de l’inlandsis Antarctique. En plus du réchauffement selon notre trajectoire d’émissions, cette étude met en avant l’importance des nuages dans les incertitudes ayant un grand impact sur la surface de l’Antarctique. S’ils contiennent davantage d’eau liquide, les nuages produisent plus de rayonnement de longue longueur d’ondes, ce qui augmente la fonte en surface. Cela illustre l’importance des projections reposant sur plusieurs modèles pour affiner les projections de BMS en Antarctique.

Enfin, ces projections ont été réalisées sur la base des scénarios avec le plus d’émissions de gaz à effet de serre. Bien que rien ne dise qu’on suivra cette trajectoire, ce scénario permet d’évaluer la réponse de l’Antarctique jusqu’à des réchauffements locaux de +7,5°C. Ce réchauffement semble un seuil à partir duquel la contribution du BMS pourrait changer. En guise de perspectives principales, il serait intéressant de les prolonger afin d’évaluer la pertinence de ce seuil. L’horizon 2100 peut paraître lointain à l’échelle humaine, mais est très court à l’échelle de l’inlandsis Antarctique. De plus longues projections nous permettront de mieux comprendre comment l’inlandsis peut varier dans différents climats et mieux appréhender ses réactions futures.

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Citation de l’article : Kittel C., 2023. Projections du bilan de masse en surface en Antarctique à l’horizon 2100. Climatologie, 21, 3.


© C. Kittel, hosted by EDP Sciences 2023

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Liste des figures

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Changements de bilan de masse en surface (SMB) entre 2070-2100 (future) par rapport à 1981-2010 (present) pour a) MAR forcé par ACCESS1.3, b) NorESM1-M, c) CNRM-CM6-1, d) CESM2; unité : kg m−2 yr−1. Surface mass balance change between 2070-2100 compared to 1981-2010 as projected by MAR forced by a) ACCESS1.3, b) NorESM1-M, c) CNRM-CM6-1, d) CESM2 (kg m−2 yr−1).

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thumbnail Figure 2

Changements de : a-b) bilan de masse en surface (SMB), c-d) précipitations neigeuses (SF), e-f) ruissellement de l’eau de fonte (RU), g-h) précipitations pluvieuses (RF) intégrés sur l’ensemble de la glace continentale (colonne de gauche, grounded) et les plateformes glaciaires (colonne de droite, ice shelves); unité : Gt yr−1. Surface mass balance (a-b), snowfall (c-d), runoff (e-f) and rainfall (g-h) anomaly (Gt-yr-1) over the grounded ice sheet (left) and ice shelves (right).

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thumbnail Figure 3

Changements de bilan de masse en surface (SMB, unité : Gt yr−1) sur la glace continentale (grounded, a) et les plateformes glaciaires (ice shelves, b) simulés par MAR par rapport au réchauffement de l’air proche de la surface entre 60°S et 90°S simulés par le modèle de climat global (°C). Surface mass balance change (Gtyr−1 ) over the grounded ice (a) and ice shelves (b) compared to the projected warming (°C) over 60°S and 90°S.

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thumbnail Figure 4

Changements de bilan de masse en surface (SMB, unité : Gt yr−1) sur la glace continentale (grounded, a) et les plateformes glaciaires (ice shelves, b) reconstruits sur base des réchauffement de l’air proche de la surface entre 60°S et 90°S simulés par les modèles de climat global et plusieurs scénarios d’émissions de gaz à effet de serre. Projected changes in surface mass balance over the grounded ice (a) and ice shelves (b) based on temperature changes between 60°S and 90°S for different global climate models and emission scenarios.

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thumbnail Figure 5

Changements de fonte en surface (Melt, unité : Gt yr−1) intégrés sur toutes les plateformes de l’Antarctique (a), Antarctique de l’Est (b), Antarctique de l’Ouest (c), et la Péninsule Antarctique (d) simulés par MAR par rapport au réchauffement de l’air proche de la surface entre 60°S et 90°S simulés par le modèle de climat global (°C). Melt changes (Gtyr-1) over the Antarctic (a), East Antarctic (b), West Antarctic (c) and Antarctic Peninsula (d) ice shelves projected by MAR compared to the temperature warming (°C) over 60°S and 90°S.

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thumbnail Figure 6

Changements de contenu en eau liquide dans les nuages (LWP, unité : g m−2) moyennés sur toutes les plateformes de l’Antarctique (a), Antarctique de l’Est (b), Antarctique de l’Ouest (c), et la Péninsule Antarctique (d) simulés par MAR par rapport au réchauffement de l’air proche de la surface entre 60°S et 90°S simulés par le modèle de climat global (°C). Liquid Water Path changes (g m-2) over the Antarctic (a), East Antarctic (b), West Antarctic (c), and Antarctic Peninsula ice shelves projected by MAR compared to the temperature warming (°C) over 60°S and 90°S.

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thumbnail Figure 7

Profils verticaux (unité : g kg−1) des changements entre 2071-2100 par rapport à 1971-2010 simulés par MAR en a) humidité spécifique, b) particule de neige et c) gouttelettes de pluie. Vertical profiles (g kg-1) in 2071-2100 compared to 1971-2010 projected by MAR for specific humidity (a), snow particule (b) and water droplets (c).

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