Open Access
Issue
Climatologie
Volume 9, 2012
Climats et changement climatique dans les villes
Page(s) S7 - S10
DOI https://doi.org/10.4267/climatologie.646
Published online 09 October 2015

Le XXème siècle est celui de l’urbanisation. Ce processus a commencé plus tôt en Amérique du Nord et en Europe, à l’exemple des villes françaises. Trois Français sur quatre habitent aujourd’hui en zone urbaine. Cette population urbaine s’est révélée particulièrement vulnérable aux aléas climatiques extrêmes. Les conséquences sanitaires désastreuses des vagues de chaleur1 ayant récemment affecté l’Europe et, singulièrement le territoire français, en sont la triste démonstration2.

En 2020, 60% de l’humanité sera citadine. Ce processus d’urbanisation désormais planétaire, pose aux citadins et aux acteurs de la gouvernance urbaine des pays émergents et des Suds, les mêmes défis climatiques que dans les pays du Nord.

Le domaine de recherche axé sur les climats et le changement climatique dans les villes constitue donc un enjeu socio-environnemental de premier plan pour définir et rendre effective les politiques territoriales visant à promouvoir un développement urbain durable (DUD). En France, l’effort actuel de recherche et de développement consacré au thème des villes durables est considérable. Il inclut fréquemment un volet sur le risque climatique ou l’adaptation au changement climatique3.

De nombreuses questions s’inscrivent en filigrane des rapports entre climats, changement climatique et villes : qu’observe-t-on sur le plan climatique dans les villes ? Quel signal climatique y détecte-t-on ? Quels sont les facteurs géographiques susceptibles de moduler ce signal climatique ? Comment spatialiser les éléments du climat urbain ? En quoi l’évolution climatique future serait-elle singulière dans les villes en regard du milieu rural ? Comment modéliser le climat urbain et à quelles échelles de temps et d’espace ? Avec quels outils de simulation et quelles observations ? Quels sont les indicateurs permettant de construire une vulnérabilité climatique « critérisée » des villes ? Comment préparer les villes aux impacts du changement climatique ? Quels aménagements urbains faut-il mettre en œuvre pour rendre les villes plus résistantes aux aléas climatiques ? Quels « obstacles » rencontre le « passage à l’action » en matière d’adaptation au changement climatique dans les villes ?

Ce questionnement non exhaustif démontre que la problématique des climats et du changement climatique dans les villes s’inscrit au cœur de la réflexion sur la vulnérabilité et la durabilité des villes4. Son traitement suppose une oscillation dialectique permanente entre analyse et synthèse, entre production de savoirsphénoménologiques “ et action raisonnée. En substance, cette problématique implique d’appréhender la climatologie des espaces urbains par une approche intégrée, inductive et multidisciplinaire5.

Ce numéro spécial de la revue Climatologie fait écho à cette nécessaire fertilisation croisée des savoirs et des compétences autour des enjeux – notamment géographiques – associant le climat et la ville. Sa parution est le fruit d’un appel à publications lancé dans le sillage du colloque scientifique international 2R2CV6 qui s’est tenu les 7 et 8 juillet 2011 sur le campus central de l’Université Paul-Verlaine Metz7. Cette manifestation pluridisciplinaire a réuni une soixantaine de personnes venant d’horizons géographiques et professionnels divers8 sur le thème de la vulnérabilité et de la résilience des espaces urbains face au changement climatique.

Les publications que rassemble ce numéro spécial abordent la question des climats et du changement climatique dans les villes par des entrées thématiques variées : climatologie diagnostique, vulnérabilité climatique, adaptation et facteurs de résilience des villes au changement climatique. De plus, les auteurs portent un regard croisé sur la ville à travers des exemples de villes du Nord et de villes du Sud (Maghreb, Asie du Sud-Est).

Le premier article signé par Salem Dahech, géographe-climatologue, est consacré à la ville tunisienne de Sfax. Il souligne tout d’abord que les villes méditerranéennes du littoral tunisien sont des espaces très dynamiques. Leur rugosité liée à la géométrie en 3D de la ville a considérablement augmenté au cours des 3 dernières décennies en raison de l’étalement urbain et de la densification du bâti. A l’instar des autres espaces urbains du monde, leur minéralité croissante leur confère des caractéristiques thermiques, radiatives et hydriques (faible stockage d’eau) singulièrement différentes de celles du milieu rural. En outre, ils sont le siège d’activités humaines émettrices de CO2 (climatiseurs, etc.), de chaleur (chauffage urbain, etc.) et de polluants atmosphériques. L’ensemble de ces caractéristiques se traduit par l’existence à Sfax, d’une marqueterie de climats locaux où l’influence de la brise de mer est plus ou moins prégnante.

Ainsi, la contribution de Salem Dahech rappelle que le climat urbain est un phénomène géographique dont la spatialisation doit tenir compte de « l’effet de site ». Celui-ci est à l’origine de la grande hétérogénéité spatiale du climat urbain qui engendre une faible représentativité spatiale des mesures météorologiques ponctuelles réalisées in situ.

Face à cette “ climato-diversité “ du milieu urbain, le champ d’étude de l’auteur s’ouvre ensuite sur les impacts de l’évolution climatique sur la société urbaine de Sfax. La vulnérabilité climatique de la population de cette ville est appréhendée à travers un indicateur bioclimatique (le confort thermique) permettant de différencier centre et périphérie. Dans son article, Salem Dahech présente les premiers résultats de son enquête sur la consommation de l’énergie électrique dans cette ville. Il aboutit à la conclusion que la sensation de surchauffe et d’inconfort thermique est plus perceptible dans les quartiers du centre-ville en raison de la densité du bâti et de l’annihilation de la brise de mer qui en découle dans ce secteur de la ville. Dans les nouveaux quartiers, l’auteur préconise une organisation du plan des rues facilitant la ventilation et réservant plus de superficies aux espaces verts.

Le second article est une contribution coordonnée par Raphaëlle Kounkou-Arnaud. Celle-ci dresse un inventaire des méthodes et principaux résultats issus du volet “ adaptation “ du projet EPICEA9. Grâce aux simulations numériques du climat réalisées sur l’agglomération parisienne dans le cadre de ce projet, outre celui de la végétation (verdissement, humidification), d’autres leviers d’action sur le climat urbain ont été identifiés. Parmi ces leviers, l’albédo des surfaces (éclaircissements des toits, murs et voirie) joue un rôle de premier plan. Les différents tests de sensibilité effectués en modifiant ces paramètres, dans un contexte de canicule (août 2003), ont permis à Kounkou-Arnaud et consorts d’identifier les zones urbaines les plus vulnérables aux processus d’urbanisation (arrondissements fortement urbanisés du centre de Paris pour l’ICU10, zones situées dans le panache urbain, etc.) dans la simulation de référence. La mise en œuvre d’un scénario “réfléchissant” (augmentation de l’albédo) permet de conclure à une baisse notable des températures de l’air par rapport à la simulation de référence.

L’article du sociologue Philippe Boudes porte sur l’analyse de la littérature scientifique abordant le thème de l’impact du verdissement d’origine végétale des villes sur leur adaptation au changement climatique. Son analyse révèle l’intérêt croissant porté par les chercheurs à ces thématiques et la pluralité des enjeux et dimensions de cette association. En plus des impacts sur le bien-être urbain et sur les systèmes écologiques, sur la production alimentaire voire sur la production culturelle, la végétation contribue à l’adaptation urbaine aux changements climatiques et peut y participer davantage. La végétation urbaine génère également des problèmes, dont les plus connus sont la participation aux processus de fabrication d’ozone troposphérique, et le déploiement de pollens pouvant causer des réactions allergiques chez certaines personnes. Il y a donc là un vrai risque de mal-adaptation11 par transfert de vulnérabilité (i.e. la végétalisation urbaine est une mesure positive pour l’adaptation au changement climatique mais plutôt négative pour la lutte contre la pollution photochimique).

Deux articles concernant des villes du domaine asiatique et du domaine méditerranéen illustrent le thème (ré)émergent de la résilience urbaine face au changement climatique.

S’intéressant à deux métropoles de l’Asie des Moussons, Céline Pierdet constate un appauvrissement du cadre conceptuel de la résilience des villes (mondialement diffusé par la Banque mondiale et les agences onusiennes) lors du processus de percolation de l’information des échelons supérieurs de la gouvernance des villes aux échelons les plus locaux ou dans les plans de réduction des risques qui intègrent les métropoles secondaires. Cet appauvrissement serait dû pour l’essentiel à un manque de moyens financiers. Pour Céline Pierdet, une définition plus précise du système devant entrer en résilience dans un contexte de changement climatique permettrait peut-être d’éviter des erreurs méthodologiques, et d’alterner emploi de mesures structurelles et non structurelles à différents échelles spatiales.

Le dernier article, proposé par Abdelkarim Daoud et Salem Dahech, est consacré à une tentative d’évaluation de la résilience urbaine de la ville de Sfax en Tunisie face à l’évolution du climat. Outre son intérêt climatologique et monographique, cet article dresse le constat d’une aggravation des vulnérabilités en raison de l’absence de stratégie d’atténuation ou d’adaptation aux changements climatiques dans la politique environnementale tunisienne. Les auteurs finissent leur article sur une note d’espoir : l’avènement de la démocratie en Tunisie devrait permettre aux acteurs locaux, particulièrement les élus, de prendre en compte les climats urbains et les effets du changement climatique dans la gestion et l’aménagement de l’agglomération.

Face au méta-risque12 que constitue, pour les villes, le changement climatique, l’étude géographique des interactions entre villes, climats et changement climatique doit se poursuivre en conservant toute la diversité et la complémentarité des éléments composant son champ actuel : analyse et spatialisation des phénomènes et processus climatologiques; visualisation 3D et cartographie; approches multi-scalaires (e.g. de l’agglomération à l’îlot); démarche comparative13 et systémique; modélisation; approche inductive et expérimentations in situ; théorisation et conceptualisation de notions fortement interdisciplinaires comme la vulnérabilité, la résilience, l’adaptation, le développement urbain durable14... Sans oublier l’histoire du risque climatique, facteur essentiel de résilience des sociétés urbaines15.

Gageons que ce numéro spécial de Climatologie contribuera à valoriser et diffuser les recherches récentes d’un certain nombre de climatologues ou géographes des espaces urbains, experts sur le thème du climat et du changement climatique en ville. On peut espérer que les éléments factuels et préconisations issus de leurs travaux, retiennent l’attention des décideurs (publics et privés)16 en vue d’améliorer « l’ordinaire » des conditions de vie de chaque citadin : cette prise en compte serait à elle seule « extra-ordinaire ».


1

Besancenot (2002) parle de « paroxysme thermique positif de basse fréquence » pour désigner l’épisode caniculaire du mois d’août 2003. A ce dernier s’ajoute la canicule de juillet 2006.

2

Voir à ce propos l’article de Besancenot (2005) : La mortalité consécutive à la vague de chaleur de l’été 2003, étude épidémiologique. La Presse Thermale, 142, pp. 13-24.

3

Programmes et appels à projet ANR, PIRVE, GICC, PUCA, PREBAT, PREDIT, etc.

4

Voir à ce sujet l’article de Quenault et al. paru dans les actes du colloque 2R2CV.

5

Voir par exemple le projet “ Le Grand Paris”.

6

Communications orales, bilan scientifique et actes du colloque disponibles sur www.cegum.univ-metz.fr/2R2CV/accueil.html.

7

Université de Lorraine depuis le 01/01/2012.

8

Universités, établissements publics, ministères et collectivités territoriales, bureaux d’études privés et grandes entreprises.

9

Etude Pluridisciplinaire des Impacts du Changement climatique à l'Echelle de l'Agglomération parisienne.

10

Ilot de Chaleur Urbain (ICU).

11

Changement dans les systèmes naturels ou humains qui conduit à augmenter la vulnérabilité au lieu de la réduire (GIEC, 2007).

12

Risque accroissant l’ampleur et la fréquence de risques naturels déjà existants.

13

E.g. par un regard croisé sur les villes du Nord et les villes du Sud.

14

Voir à ce sujet l’article de Quenault et al. paru dans les actes du colloque 2R2CV.

15

Voir à ce sujet les articles de J. Desarthe, L. Litzenburger et W. Pittel parus dans les actes du colloque 2R2CV.

16

Etat, collectivités territoriales, bailleurs privés, architectes, etc.


© Association internationale de climatologie 2012

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