Open Access
Issue
Climatologie
Volume 13, 2016
Page(s) 38 - 46
DOI https://doi.org/10.4267/climatologie.1194
Published online 22 February 2017

© Association internationale de climatologie 2016

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Introduction

La variabilité climatique des années 1970 en Afrique de l’Ouest (Servat et al., 1998, 1999; Dacosta et al., 2002; Lebel et Ali, 2009; Bodian et al., 2011; Bodian, 2014; Descroix et al., 2015; Diop et al., 2016) a eu des conséquences très néfastes sur les écosystèmes naturels mais également sur l’environnement humain et le cadre de vie, notamment dans les grandes agglomérations. Les bassins urbains et autres zones basses, qui se sont asséchées au cours de la longue sécheresse, ont servi de zone d’extension urbaine densément peuplée et sans plan d’assainissement structuré. L’imperméabilisation des zones d’infiltration des eaux pluviales, du fait de la forte occupation du sol, entraîne un ruissellement rapide et prononcé dans ces nouveaux quartiers, favorisant des inondations, devenues le « casse-tête » des bidonvilles africains. Les conséquences de ces inondations sont parfois dramatiques. En effet, elles ont occasionnées 500 décès au Mozambique en 2008 (United Nation, 2009) et affecté plus de 600 000 personnes en septembre 2009 dans seize pays de l’Afrique de l’Ouest dont les plus touchés étaient le Burkina Faso, le Sénégal, le Ghana et le Niger (Di-Baldassarre et al., 2010).

Au Sénégal, le phénomène des inondations est récurrent dans toutes les grandes villes (Dakar, Rufisque, Kaolack, Ziguinchor, etc.). Les travaux de recherche menés, notamment à Dakar et Rufisque (Bassel, 1996; Laaroubi, 2007; Diouf, 2011) ainsi que les études effectuées dans le cadre des zones humides (Dacosta et Gomez, 1998; Malou et al., 2000) indiquent que, d’une manière générale, ces inondations urbaines sont dues essentiellement à i) une mauvaise occupation de l’espace liée à une méconnaissance des réseaux hydrographiques urbains et au caractère inapproprié des infrastructures mises en place et ii) au mauvais dimensionnement des ouvrages d’évacuation des eaux usées et pluviales. Ainsi, il apparaît qu’une solution durable à ces inondations passe par une bonne compréhension du fonctionnement hydrologique et hydrogéologique des bassins versants urbains (Diouf, 2011). Ceci requiert non seulement une bonne cartographie de ces bassins mais aussi et surtout, une étude détaillée des précipitations aux échelles infra-horaires, car le processus de stagnation des eaux ne se pose pas seulement en termes de quantité mais aussi en termes d’intensité de pluie (Van Tuu, 1981).

L’élaboration des courbes Intensité-Durée-Fréquence (IDF) peut permettre un bon dimensionnement des ouvrages hydrauliques, et devra contribuer à la définition des plans d’assainissement fiables. En effet, dans le cadre de la réalisation de nombreux projets, tels que le dimensionnement d’ouvrages de retenue mais aussi des réseaux d’assainissement urbain, les commanditaires et gestionnaires ont besoin de déterminer une « pluie de projet » qui peut être déterminée à partir des courbes IDF. Celles-ci représentent pour une probabilité au non-dépassement (exprimée en termes de période de retour), la variation de l’intensité annuelle maximum des pluies à l’intérieur d’un intervalle de temps. Ces courbes permettent d’une part, de synthétiser l’information pluviométrique au niveau d’une station donnée et, d’autre part, de calculer succinctement des débits de projet et d’estimer des débits de crue, à partir des pluies de projet utilisées pour l’estimation des volumes d’eau à évacuer (Radojevic, 2002; Monhymont et Demarée, 2006; Soro et al., 2008; Panthou et al., 2015).

L’obtention des courbes IDF passe nécessairement par le dépouillement des diagrammes pluviographiques (figure 1). Or, dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, les données pluviométriques, sous format numérique, existent à différents pas de temps : annuel, mensuel et journalier.

thumbnail Figure 1

Exemple du diagramme pluviographique du 06/09/1996 de la station de Dakar Yoff (source : ANACIM). Cette pluie a un volume total de 29,5 mm avec une durée de 50 min, une intensité maximale de 173 mm/h et une intensité moyenne de 35 mm/h. Example of a pluviograph diagram at the station of Dakar Yoff on 06/09/1996 (source: ANACIM). The amount of rainfall was 29.5 mm with a duration, maximal, and average intensity of 50 mn, 173 mm/h, and 35 mm/h, respectively.

Les données d’intensité des pluies (pluies horaires et infra-horaires) n’existent que sous la forme d’enregistrements pluviographiques. Seuls quelques résultats de dépouillements manuels réalisés par Brunet-Moret (1963) existent et concernent les données antérieures à cette date. Ainsi, depuis lors, les pluviogrammes se sont amoncelés dans les services météorologiques nationaux sans être dépouillés et le risque de dégradation de ces enregistrements d’archive est réel (humidité, qualité du papier, tenue des archives). Dans le soucis de sauvegarder les données pluviographiques du Sénégal sous format numérique, un important travail de dépouillement des diagrammes pluviographiques des principales stations synoptiques du Sénégal (figure 2) a été entrepris entre 2001 et 2006 par le laboratoire d’hydro-morphologie du Département de Géographie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), en collaboration avec l’Agence Nationale de l’Aviation Civile et de la Météorologie (ANACIM), ex-Direction de la Météorologie du Sénégal. Cet article présente la base de données numérique opérationnelle constituée sur les intensités de pluie ainsi que quelques résultats préliminaires obtenus.

thumbnail Figure 2

Localisation des stations pluviographiques dont les diagrammes ont fait l’objet de dépouillement. Location of raingauge stations with diagram that was analyzed.

1. Données et méthodes

1.1. Données

Les diagrammes pluviographiques sous format papier ont été fournis par l’ANACIM. La mise en forme des données, par un contrôle et un classement annuel, mensuel et journalier des diagrammes a permis de définir la qualité et la longueur des séries de données disponibles par station (tableau 1).

Tableau 1

Période couverte par les séries disponibles aux différentes stations pluviographiques. Periods with available data at the different pluviograph stations.

1.2. Méthodes

Les intensités de pluie sont enregistrées sur des diagrammes hebdomadaires et journaliers. Pour des raisons techniques (choix du logiciel de dépouillement et paramétrage de ce dernier), seuls les diagrammes journaliers ont été traités. Le travail effectué comporte les deux opérations suivantes : 1) la numérisation des diagrammes pluviographiques; 2) l’élaboration des courbes Intensités-Durée-Fréquence (IDF).

1.2.1. Numérisation des diagrammes pluviographiques

Les intensités de pluie au Sénégal sont enregistrées sur des pluviogrammes par un pluviographe à augets basculeurs. La bague réceptrice est de 400 cm². La rotation est journalière (1 basculement équivaut à 0,5 mm de pluie).

Le dépouillement des pluviogrammes a été effectué avec le logiciel Pluvio développé par Vauchel (1992). Pour plus d’information sur la procédure de digitalisation des pluviogrammes, le lecteur pourra se référer aux travaux de Laaroubi (2007), Bodian (2011) et Diouf (2011).

1.2.2. Élaboration des courbes IDF

Elle consiste tout d’abord à extraire du logiciel Pluvio les pluies dépouillées pour différents pas de temps imposés par le logiciel Pluvio (5, 10, 30, 60, 120, 180, 240, 360, 720 et 1440 minutes). Ensuite, les hauteurs maximales infra-horaires de pluie pour ces différents pas de temps ont été saisies dans le logiciel Storms 2000 (www.jfsa.net) afin de réaliser le calcul et le tracé des courbes (IDF) en utilisant la formule de Keifer-Chu (1957) dont la formulation est la suivante :

I=a/(b+t)^c$$ I=a/(b+t)^c $$Où I est l’intensité de la pluie; a, b et c sont des coefficients numidiques dépendants de la période de retour t et des conditions climatiques locales de la zone d’étude.

2. Résultats

2.1. Evénements pluvieux dépouillés

Le nombre d’événements pluvieux dépouillé par station (figure 3) permet de constater que les pluies dépouillées varie de 27 (station de Cap Skiring) à 1472 (station de Ziguinchor) pluies. La station de Cap Skiring a la particularité de n’avoir que deux années de données disponibles alors que la station de Ziguinchor se situe au sud du pays, zone qui enregistre le maximum de précipitation (Diop et al., 2016).

thumbnail Figure 3

Nombre d’évènements pluvieux dépouillés par station pluviographique au Sénégal. Number of rainfall time series analyzed by pluviograph station.

2.2. Courbes Intensité-Durée-Fréquence (IDF)

Le logiciel Storms 2000 utilisé ici pour l’élaboration des courbes IDF (figure 4) est paramétré à sept années complètes pour obtenir des courbes IDF considérées comme fiables, sachant que la précision des courbes IDF dépend de la longueur des séries de données utilisées. Sur cette base, les courbes IDF ont été élaborées pour dix-sept stations qui disposent de données suffisantes (figure 5).

thumbnail Figure 4

Courbes IDF de la station de Dakar. La courbe bleue représente le hyétogramme de l’averse du 06/09/1996. IDF curves at Dakar station: the blue line represents the hyetogram on 06/09/1996.

thumbnail Figure 5

Stations pluviographiques de la zone d’étude disposant de courbes IDF. Pluviograph stations with IDF curves.

thumbnail Figure 6

Crues observées et calculées par le modèle OTTHYMO sur le bassin versant urbain de Thiokho (Rufisque); d’après Laaroubi (2007). Observed and calculated flows by the OTTHYMO model at the Thiokho urban basin in Rufisque (from Laaroubi, 2007).

Un premier travail de valorisation des courbes IDF obtenues a été effectué dans le cadre des travaux de thèse de Laaroubi (2007). En effet, en utilisant les courbes IDF de Dakar Yoff, sur le bassin de Thiokho (Rufisque) et en utilisant juste une version démonstration du modèle hydrologique OTTYMO, les résultats obtenus montrent que le modèle ajuste bien le débit de pointe quelle que soit la forme de la crue, ainsi que le temps de montée (figure 6). Néanmoins, en ce qui concerne le volume d’eau écoulé, l’écart se creuse entre les crues simulées et celles observées. Le modèle a des difficultés à reproduire la courbe de décrue correctement. Il a également des difficultés à reconstruire la forme de la crue complexe. Malgré ces défaillances, les débits de pointe, qui constituent le paramètre prioritaire dans l’aménagement en milieu urbain, sont bien restitués.

Conclusion et perspectives

L’intensité de la pluie a un lien direct avec deux processus hydrologiques que sont l’infiltration et le ruissellement dont elle détermine les modalités. En zone rurale et en condition naturelle, l’intensité de la pluie détermine la vitesse de formation des crues mais également leur capacité érosive en fonction de la nature de la couverture du sol. En milieu urbain, l’accumulation des eaux et leur écoulement rapide ou lent vers les dispositifs de collectes des eaux pluviales (caniveaux, canaux, bassins d’infiltration…) dépendent également de l’intensité des pluies, la situation étant particulière ici compte tenu de l’importance des espaces imperméabilisés qui augmentent les volumes d’eau ruisselés, réduisent le temps de concentration et de transfert des eaux vers le réseau d’assainissement des eaux pluviales. En l’absence de données hydrologiques mesurées, les intensités des pluies sont souvent utilisées comme paramètres d’entrée des programmes de simulation des écoulements en milieu urbain comme en zone rurale en vue du dimensionnement de divers types d’ouvrages hydrauliques ou d’ouvrages de franchissement (ponts et ponceaux, radiers…).

Comme rappeler dans l’introduction, les données d’intensité des pluies n’existent que sous la forme d’enregistrements pluviographiques dans la majeure partie des pays d’Afrique de l’Ouest, avec des risques notoires de dégradation de ces enregistrements. Cette action de recherche a permis de dépouiller l’ensemble des diagrammes pluviographiques journaliers disponibles à l’ANACIM et de constituer une base de données numérique opérationnelle sur les intensités de pluie au Sénégal, base essentielle qui est en train d’être valorisée dans le cadre d’une collaboration avec l’ANACIM et le LTHE (Laboratoire d’étude des Transferts en Hydrologie et Environnement – Grenoble), pour la spatialisation des paramètres de Montana en utilisant la méthodologie récemment développée par Panthou et al. (2014 et 2015) pour l’élaboration des courbes IDF au Niger. Car les même courbes IDF élaborées avec le logiciel Storms 2000 ne fournissent pas d’intervalles de confiances, ce qui constitue un handicap. A cet égard, Monhymont et Demarée (2006) ont montré que l’adjonction d’intervalles de confiance appropriés aux courbes IDF est intéressante, voire indispensable, l’estimation ou une mesure demeurant peu utilisable sans une idée de sa précision. De plus, du point de vue de la gestion de risques, l’utilisateur pourra, dans le doute, retenir la borne supérieure de l’intervalle de confiance sur la quantité extrême, plutôt que d’utiliser des coefficients de risques purement artificiels. En outre, Panthou et al. (2015) affirment que lorsque les bassins versants ont une surface non négligeable, il est nécessaire d’avoir recours à des coefficients d’abattement spatiaux (ARF – Areal Reduction Factor) afin de passer d’une pluie ponctuelle à une pluie spatiale. Le couplage des coefficients ARF et des courbes IDF permet de produire des courbes IDAF (Intensité-Durée-Aire-Fréquence) qui permettent d’estimer l’intensité de pluie tombant sur une surface A pendant une durée D et ayant une période de retour Tr.

Une des perspectives sera la valorisation de ces données pluviographiques, notamment les paramètres de Montana, pour l’estimation des écoulements des bassins versants urbains. Ceci permettra de mettre à la disposition des pouvoirs publics des informations nécessaires à la conception et à la mise en place d’infrastructures hydrauliques (réseaux d’évacuation des eaux usées et des eaux pluviales) pour faire face à la recrudescence des inondations de ces dernières années au Sénégal.

Références

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Liste des tableaux

Tableau 1

Période couverte par les séries disponibles aux différentes stations pluviographiques. Periods with available data at the different pluviograph stations.

Liste des figures

thumbnail Figure 1

Exemple du diagramme pluviographique du 06/09/1996 de la station de Dakar Yoff (source : ANACIM). Cette pluie a un volume total de 29,5 mm avec une durée de 50 min, une intensité maximale de 173 mm/h et une intensité moyenne de 35 mm/h. Example of a pluviograph diagram at the station of Dakar Yoff on 06/09/1996 (source: ANACIM). The amount of rainfall was 29.5 mm with a duration, maximal, and average intensity of 50 mn, 173 mm/h, and 35 mm/h, respectively.

Dans le texte
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Localisation des stations pluviographiques dont les diagrammes ont fait l’objet de dépouillement. Location of raingauge stations with diagram that was analyzed.

Dans le texte
thumbnail Figure 3

Nombre d’évènements pluvieux dépouillés par station pluviographique au Sénégal. Number of rainfall time series analyzed by pluviograph station.

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Courbes IDF de la station de Dakar. La courbe bleue représente le hyétogramme de l’averse du 06/09/1996. IDF curves at Dakar station: the blue line represents the hyetogram on 06/09/1996.

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Stations pluviographiques de la zone d’étude disposant de courbes IDF. Pluviograph stations with IDF curves.

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Crues observées et calculées par le modèle OTTHYMO sur le bassin versant urbain de Thiokho (Rufisque); d’après Laaroubi (2007). Observed and calculated flows by the OTTHYMO model at the Thiokho urban basin in Rufisque (from Laaroubi, 2007).

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